4.1 Evolution chrono-culturelle

Dans les Alpes occidentales et le bassin du Rhône, les premiers indices de différenciation dans le statut des haches n’apparaissent qu’à la fin du Néolithique ancien (phase 2) et, de manière plus sûre, dans les phases anciennes du Néolithique moyen (phase 3).

4.1.1 Phase 2 : fin du Néolithique ancien

Il est symptomatique de constater que les manifestations de statut extra-ordinaire des haches apparaissent en même temps que s’implantent en Piémont subalpin les premières communautés néolithiques du Neolitico antico padano (carte 39). Si notre hypothèse de sériation est bonne, les premières lames de hache de très grandes dimensions, longuement bouchardées mais peu polies («type Zermatt»), parfois présentes en dépôts (Zermatt/Garten, n° 823-2, carte 36), peuvent être datées de cette phase 2. Ces objets pour certains trop grands pour être utilitaires sont connus dans la vallée du Tanaro et dans les Alpes internes en Haut-Valais (Rarogne/Rarnerkumme, n° 812-0, pl. 114), en val de Suse (Vaie/Rumiano, n° 928-1, pl. 55), peut-être en val d’Aoste (ébauche de Quart/Vollein, n° 904-2, pl. 56) et en Haute-Maurienne (possible ébauche de Bonneval/Vallonnet, n° 511-1, pl. 115). Les productions de bracelets en roches tenaces leur sont contemporaines (carte 30), et en particulier les grands anneaux-disques retrouvés en dépôt à Chambéry (n° 515-1 ; pl. 166 à 168). Tous ces objets ont en commun de chercher à produire, à partir de modèles répandus dans les cultures concernées (bracelets étroits, lames polies communes), des objets les plus grands possible, sans pour autant chercher la perfection de la finition : l’accent est mis sur les étapes de débitage de la roche (pour produire de grands supports), de façonnage par taille et (pour les lames polies) de bouchardage : le polissage est peu développé, voire absent (sur les anneaux-disques de Chambéry, il est mené sans soin), et la symétrie générale de l’objet n’est que rarement atteinte. De ce fait, c’est la maîtrise technique du fabricant sur la matière, son savoir-faire de créateur qui est ainsi mis en avant. Ces caractéristiques, jointes à la localisation géographique des découvertes, dans les Grandes Alpes et en Piémont (carte 36), laissent penser à une volonté de distinction de certaines lames polies et bracelets de la part des fabricants eux-mêmes, pour leur propre profit. Un argument en ce sens peut être proposé, à titre d’hypothèse, à propos des découvertes de Vaie/Rumiano : il est possible que nous ayons là un dépôt regroupant de grandes lames polies, des pièces inachevés et des outils de fabrication. Si tel est le cas, ce dépôt renforce l’idée de la valorisation de l’acte même de la production.

La volonté de produire de grandes lames polies et de larges anneaux-disques, au moment où les affleurements des Alpes occidentales commencent probablement à être reconnus et parcourus (chapitre 5 ; carte 39), indique que cette mise en place ne prend pas vraiment la forme d’une avancée régulière et dénuée d’enjeu. Au contraire, si nos hypothèses de sériation vont justes, il semble y avoir une volonté de distinction de la part des producteurs qui joue entre les personnes et se matérialise par la production de grands objets. En outre, c’est à cette période que les premiers indices de relations transalpines directes entre les plaines du Pô et le bassin du Rhône (Valais et moyenne vallée du Rhône) peuvent être reconnus, par le biais des céramiques Fiorano (Beeching 1999b). Il y a donc sans doute un enjeu dans la démonstration de savoir-faire des producteurs : établir des liens avec des utilisateurs lointains, et cette volonté est soulignée par la présence de grandes lames polies de «type Zermatt» ou assimilables par-delà la ligne de partage des eaux Pô/Rhône, et en particulier dans de probables dépôts d’altitude en position topographique remarquable de passage à travers les massifs (Zermatt/Garten, n° 823-1 ; Bonneval/Vallonnet, n° 511-1). Peut-être s’agit-il d’une volonté de prise de possession de la montagne, ou d’actes destinés à favoriser le passage (offrandes ?),
ou d’un balisage d’itinéraires.

Bien que les données chronologiques soient fragiles, la cohérence de l’ensemble des faits permet de proposer que la mise en place des prémices d’un réseau de diffusion transalpin des éclogites s’effectue durant cette phase, au cours de laquelle les producteurs de lames de hache en éclogites cherchent à mettre en valeur leur savoir-faire pour la réalisation de grandes pièces. Ce réseau implique du même coup une véritable humanisation de la montagne par la création d’itinéraires pour la circulation et la prospection des affleurements, qui à ce jour n’a guère laissé de traces archéologiques. Il est probable en effet que durant cette période, les parcours dans les massifs des Alpes internes n’aient donné lieu qu’à de brèves haltes (Beeching dir. 1999, p. 18), à l’image du site récemment découvert à Uvernet-Fours/torrent de Julien au-dessus de Barcelonnette (Beeching et Riols 1999 ; carte 9, point A).