1.2.1 Phase 1 : premières circulations préalpines

Dans la phase 1 de notre sériation, correspondant au Néolithique ancien ligure (Impressa), provençal et rhodanien (surtout Cardial), les lames de hache suivent deux modes de circulation (carte 38). Le premier et le plus fréquent est l’emploi de roches prélevées à quelques dizaines de kilomètres tout au plus autour des sites : galets de glaucophanites en basse Durance et en Provence occidentale, amphibolites calciques des Pyrénées, amphibolites en basse Ardèche, éclogites et métabasites du massif de Voltri en Ligurie (Ricq-de Bouard 1996, p. 93-97). Le degré relativement faible d’investissement technique pour des productions réalisées, dans les cas démontrables, sur galets, indique des circulations non hiérarchisées, uniformément réparties, avec une probable redistribution ou un accès direct aux sources à l’intérieur des communautés, puisque chaque roche tend à couvrir un espace homogène. Mais en complément apparaît un deuxième mode de circulation à partir de la Ligurie : la diffusion de pièces en éclogites (associées peut-être aux jadéitites) en Provence intérieure, jusqu’au Rhône qui forme, à une exception près, la limite occidentale des circulations, soit des distances maximales de l’ordre de 300 km. Ces circulations s’effectuent entre des cultures différentes (Impressa et Cardial), mais au sein du Cardial, ne touchent que certaines partie de cette culture, établissant ainsi des distinctions reconnues par ailleurs dans les styles céramiques (p. 74-78). L’organisation générale des circulations d’éclogites ressemble donc à celle des autres roches, une fois qu’elles sont entrées dans la sphère culturelle du Cardial : des redistributions ou des déplacements direct des personnes peuvent être avancées. Il en est probablement ainsi en particulier pour les marges septentrionales du Cardial qui rentrent dans notre région d’étude, où il semble bien que les haches à lame en éclogite parviennent sur les sites à la faveur de déplacements humains saisonniers comme par exemple à Lus-La Croix-Haute/les Corréardes.

Cependant, le fait que les éclogites transitent de la Ligurie à la Provence, même en faibles quantités, suggère un mode de circulation différent qui pourrait être un échange. Dans cette optique, les études menées sur les lames de silex blonds de Provence occidentale montrent la probable circulation de ces biens en faible quantités (10 %) jusque en Ligurie sur le site des Arene Candide (Binder 1998). Ces déplacements ne sont pas motivés uniquement par des besoins économiques, puisque les éclogites ligures côtoient en Provence des roches duranciennes, et sont parallèles à des circulations d’obsidienne, en quantités infimes, de provenance fort lointaine (Lipari ; Binder et Courtin 1994 ; Guilaine et Vaquer 1994 ; Vaquer 1999). La mise en circulation des biens sans nécessité économique perceptible s’effectue donc dès le plus ancien Néolithique connu, soulignant ainsi cette tendance structurelle du Néolithique (Binder et Perlès 1990). Mais cette tendance n’est pas partout développée : elle est inexistante en Provence occidentale, en vallée du Rhône et en Languedoc, du moins pour les lames de hache, sans qu’il soit possible de préciser s’il s’agit d’un problème de structure ou de diachronie. Quoi qu’il en soit, bien que les reliefs de Provence intérieure et des Préalpes du Sud soient parcourus et intégrés aux territoires du Cardial (Beeching 1995a, 1999b), les Alpes elles-mêmes semblent en l’état actuel des données ne jouer aucun rôle dans ces circulations de biens et de personnes.