1.2.5 Phase 6 : Néolithique final, la récession des échanges de lames polies en éclogites

Durant le Néolithique final au sens large, les productions en éclogites connaissent de nouvelles mutations par un renouvellement des techniques de fabrication, avec emploi du sciage, polissage préférentiel, qui modifient l’apparence des objets. En parallèle, le système de production segmenté dans l’espace est semble-t’il encore en place (carte 42), avec des sites proches des lieux d’extraction en altitude (Balm’Chanto, Sollières/les Balmes), des sites de façonnage dans le Sillon alpin et la vallée du Buëch (Saint-Alban-Leysse/Saint-Saturnin, Orpierre/Tarrin). Mais, a contrario, les diffusions d’éclogites sont en nette récession, avec des gradients différents selon les régions : elles demeurent fortes en moyenne vallée du Rhône et dans les avant-pays dauphinois et savoyards, mais plus au nord, ne sont plus guère attestées : les productions du Léman, peut-être du Bugey et du Valais, semblent prendre le relais (carte 42 ; p. 354). De même, au sud du défilé de Donzère pour la rive gauche du Rhône, et au-delà du fleuve, les approvisionnements se font sur roches acquises à quelques dizaines de kilomètres, guère plus. Nous retrouvons en quelque sorte une situation comparable à celle du Néolithique ancien avec néanmoins deux différences : les production régionales semblent plus diffusées, peut-être du fait de la meilleure connaissance que nous avons des sites archéologiques, et surtout, il s’agit d’un phénomène de périphérisation par rapport aux diffusions en éclogites alpines puisque ces productions émergent ou réapparaissent là où au Néolithique moyen les éclogites diffusaient largement (cartes 41 et 42 ; Ricq-de Bouard 1996). Nous proposons d’expliquer ce fait par un changement profond dans le statut même de la lame polie, que nous avons montré par ailleurs (p. 484-496 et infra). Ce repli sur la valeur utilitaire peut être lié à une perte de valeur d’échange, du moins au-delà des régions de production des lames polies en éclogites (reliefs internes, avant-pays et Préalpes), puisque nous avons montré que dans ces régions réapparaissent des lames polies de bonnes dimensions, parfois en limite des modèles fonctionnels («type Magland»), qui peuvent être placées en dépôts (p. 492 ; carte 37). Une dichotomie entre les régions de producteurs sur éclogites, dans les reliefs, et les régions réceptrices de l’axe du Rhône peut ainsi être perçue, qui recoupe la zone d’influence des instruments perforés non utilitaires (carte 33 ; p. 479-480 et infra). Il nous semble donc que les lames polies en éclogites perdent au Néolithique final leur valeur d’échange en dehors des reliefs alpins, sous l’effet de la hausse de valeur d’objets étrangers (cf. infra) : les axes d’échanges se réorientent ainsi en profondeur mais il est difficile ici de démêler les causes des effets (cf. discussion infra).

Pour nous, il est clair néanmoins que la récession des diffusions de lames polies en éclogites est motivée par des modifications idéologiques et non pas économiques, mutations qui affectent l’ensemble du corps social avec pour effet une réorganisation des échanges, mais nullement leur disparition. Ainsi, si les obsidiennes disparaissent quasiment, de nouvelles circulations de biens émergent fortement, telles les grandes lames de silex destinées à la fabrication de «poignards» (Mallet 1992 ; Renault 1998 ; Riche 1999a) : au Grand-Pressigny, à Vassieux, à Forcalquier, ces productions prennent un caractère industriel sans aucune logique économique claire, puisque les diffusions s’effectuent au sein de régions largement pourvues en silex de qualité, dans les Préalpes françaises ou le Jura. La valeur accordée à ces «poignards» sans doute dans le sillage des objets similaires en cuivre, qui se retrouvent placés en sépultures démontre que le bien valorisé n’est plus la hache à lame de pierre. Le rôle du cuivre dans cette perte de fonction signifiante de la lame en pierre polie est difficile à cerner mais il est certain que les Alpes occidentales connaissent des productions conséquentes de lames polies en éclogites durant tout le Néolithique final, avec le maintien d’un système de production structuré qui tranche avec celui en place dans les productions périphériques. De centre fort d’échange, les Alpes sont devenues des régions en marge qui maintiennent un système de production de lames polies hérité et se détournent des évolutions alentours (cf. infra). Mais la situation est beaucoup plus complexe puisque cette individualisation est à nuancer fortement (cf. discussion infra).