1.2.6 Conclusion : l’échange, moteur social

Les évolutions détaillées ci-dessus peuvent être comparées avec celles des productions en roches vosgiennes (Pétrequin et Jeunesse dir. 1995 ; Pétrequin, Jeudy et Jeunesse 1996). Une tendance inverse à celle que nous proposons entre le Néolithique moyen I et II est mise en avant : alors que dans les Alpes, nous percevons un éloignement des sites de production des sources d’éclogites, au débouché des Vosges, il se produit un rapprochement de ces mêmes sites : au Néolithique moyen I, les sites de production sont implantés en Haute-Alsace, à environ 30 à 40 km des carrières de Plancher-les-Mines, et sont rapportés au Roëssen qui occupe la vallée du Rhin ; au Néolithique moyen II, les sites producteurs sont concentrés dans la Trouée de Belfort, soit à une vingtaine de kilomètres de Plancher-les-Mines, et dans l’orbite du Néolithique Moyen Bourguignon centré plus au sud. Comme pour les Alpes, l’idée d’un contrôle accru et du transfert de celui-ci d’une culture à une autre est une explication, mais l’expression matérielle divergente de ce contrôle peut trouver deux interprétations complémentaires. D’une part, les roches sont différentes et leur modalités de travail également : la taille est privilégiée pour les métapélites de Plancher-les-Mines, le bouchardage pour les éclogites alpines. Or, les savoir-faire nécessaires sont, de manière relative, plus importants pour la taille que pour le bouchardage : le degré de spécialisation y est donc plus élevé si l’on veut obtenir des ébauches régulières (Pétrequin et Pétrequin 1993, p. 366-371). Un contrôle plus étroit des exploitations de carrières requiert donc dans le premier cas une plus grande proximité pour pouvoir pratiquer plus aisément. Cela est le cas en Irian Jaya entre les productions taillées sur basaltes de Langda et celles de Yeleme sur métabasites à glaucophanes (ibid.). D’autre part, nous sommes dans l’ignorance quasiment absolue sur les sites de façonnage situés à proximité immédiate des gîtes d’éclogites et leur place éventuelle dans la structuration de la production. Nous connaissons les affleurements géologiques mais non les carrières et les sites directement associés. Il y a là un champ de recherche quasiment vierge dont le développement permettrait de préciser considérablement, voire de contester, nos propositions.

Les interprétations présentées ci-dessus mettent en avant, sur la base de modèles ethno-archéologiques, le rôle central des mécanismes de l’échange pour expliquer la mise en place de productions et de diffusions importantes de lames polies en éclogites dans les Alpes occidentales, selon un processus enraciné dans les premières approches de la montagne par les néolithiques. Selon cette vue, les échanges précèdent et en quelque sorte guident la structuration des productions et des diffusions alpines. Ils jouent ainsi un rôle de premier plan en ce qu’ils orientent la dynamique sociale en vue de la reproduction des liens constituants la société. Le fait que dans les phases 2 et 3, entre la fin du Néolithique ancien et la fin du Néolithique moyen I, la production de grands lames polies initie les réseaux transalpins et précède les productions postérieures plus directement utilitaires montre que les explications économiques, si elles ont toujours un fond de validité, ne peuvent être placées au premier plan de l’interprétation.