2.3 La question des peuplements intra-alpins

Sur la base de ces données nouvelles, nous pouvons aborder brièvement la question soulevée par F. Fedele de la reconnaissance de peuplements intra-alpins, dans le sens «d’une succession de populations capables de résider dans un territoire donné avec une certaine permanence et d’une façon au moins saisonnière» (Fedele 1999, p. 332). L’évolution théorique en six stades proposée par cet auteur repose sur la capacité de reconnaissance du caractère pérenne ou saisonnier d’un point donné d’occupation du territoire. Cette notion de peuplement permet de rendre compte de l’humanisation des milieux montagnards par une prise en compte du mode d’occupation du territoire conçu comme un tout dès le point de départ, un tout où l’ensemble de la montagne, reliefs et vallées, est concerné de manière égale par l’appropriation humaine. En s’appuyant sur le site de Chiomonte, défini comme un habitat permanent, l’auteur propose de voir le début des implantations pérennes dans les hautes vallées à la fin du Néolithique moyen et au Néolithique final («stade formatif»). Nous avons vu que le site de Chiomonte ne peut plus être interprété comme un habitat permanent (annexe 2, n° 913-1), et sa datation doit être quelque peu vieillie d’après le mobilier publié (Beeching, comm. orale). De ce fait, nous ne connaissons à ce jour aucun habitat pérenne néolithique démontré dans les vallées d’altitude intra-alpines occidentales. Seules les nécropoles Chamblandes pourraient indiquer un peuplement stable. Mais il convient de relever que d’une part, elles sont toutes implantées à des altitudes inférieures à 700 m166, c’est-à-dire dans des conditions bio-climatiques (actuel étage collinéen) où des implantations humaines sont connues en Valais (Savièse/la Soie), et d’autre part, qu’une nécropole de tombes individuelles ne démontre pas l’existence d’une occupation durant toute l’année par les vivants : le cas de Chiomonte, avec sa nécropole associée au site «d’habitat» est là pour le rappeler. Dans cette optique, les preuves d’un peuplement un tant soit peu sédentarisé demeurent très ténues au Néolithique final. Les tombes de Fontaine-le-Puits pourraient, avec des réserves identiques, être des indicateurs, cette fois à 1000 m d’altitude sur un versant. Mais en fait, les seules implantations tangibles pourraient être celles des grandes vallées de plus basse altitude, avec les nécropoles mégalithiques d’Aoste et de Sion. A Sion, l’implantation humaine pérenne est hors de doute depuis le Néolithique ancien et une organisation complexe du territoire de la plaine à la montagne est proposée dès le Néolithique moyen (Gallay 1983). En Val d’Aoste, les indices de peuplement stable apparaissent dès le Néolithique moyen (cistes groupées en nécropoles ; Mezzena 1981, 1997).

De ces faits, il ressort que la fixation de peuplements au sein des vallées intra-alpines et des hauts reliefs ne peut à ce jour être formellement démontrée. Seules les grandes vallées insérées dans les reliefs mais aux conditions écologiques nettement favorables (Valais et Val d’Aoste) documentent la question. Ailleurs, la mobilité des personnes apparaît comme une donnée fondamentale et il nous semble que la reconnaissance des modes d’usage des flèches polies va dans le sens de ce principe, puisque ces armes sont présentes dans tous les contextes (de l’abri montagnard aux tombes en passant par les habitats), à toutes les altitudes, mais exclusivement (sauf exceptions lointaines dont l’explication suit d’autres voies) à l’intérieur des régions délimitées par les reliefs intra-alpins. S’il y a bien un peuplement intra-alpin, celui-ci ne peut être fondé que sur une complémentarité entre les différentes composantes de la montagne, comme l’a modélisé A. Gallay pour le Valais (Gallay 1983), en tenant compte de la mobilité structurelle des populations alpines, comme l’a souligné F. Fedele dans son modèle théorique (Fedele 1999). Cette mobilité structurelle dont les transformations durant le Néolithique demeurent à établir est en parfait parallèle avec les modalités de production des lames de hache, telles que nous les percevons avec les données disponibles, qui supposent des déplacements constants entre les zones d’affleurements, la plupart à de hautes altitudes, et les lieux de résidence temporaires ou permanents. Nous ajouterons à ces remarques la nécessité de prendre en compte le rythme annuel des déplacements, puisque l’enneigement hivernal, s’il ne gène pas outre mesure les circulations (à condition d’être équipé), oblitère pour longtemps les affleurements de roches.

Notes
166.

A notre connaissance, la seule exception est la nécropole de Vollein à Quart en Val d’Aoste (n° 904-1) implantée à plus de 900 m d’altitude mais sur un versant largement ensoleillé et ouvert sur le fond de vallée.