3.3.1 Déroulement chronologique

Les plus anciennes traces d’influences des cultures du nord des Alpes dans l’évolution du système de production et de diffusion des haches alpines semblent s’enraciner dans les modalités même de la néolithisation des régions alpines. Schématiquement, celle-ci est initiée par les communautés néolithiques implantées dans les régions méditerranéennes, tant dans le Sud de la France qu’en Italie du Nord. Mais la reconnaissance d’influx transalpins issus des cultures danubiennes dans la constitution des groupes du Neolitico antico padano (Bagolini 1990a) trouve un parallèle avec la présence de ciseaux de typologie tardi-rubanée dans le Frioul, puis, dans la phase II du VBQ, dans la vallée de l’Adige (Pedrotti 1996) et le Piémont. Mais cette possible et discrète influence est de peu de poids technique. Il en est de même pour les lames de hache-marteau ou coins perforés du Néolithique moyen de Suisse, présents jusque sur les rives nord du Léman et en Valais (carte 31), et peut-être diffusés de manière ponctuelle dans les Préalpes du Sud (Saint-André-de-Rosans ; pl. 159). Si nous nous remettons à l’esprit l’influence idéologique des cultures danubiennes relevée dans les phases anciennes des rituels funéraires Chamblandes (Moinat 1998) et dans ceux du V.B.Q. (Pedrotti 1996), les données concernant les lames de hache s’inscrivent bien dans ce contexte d’influences non pas techniques ou économiques mais d’ordre idéel. Sur la frange nord des Alpes, ces influences transgressent l’opposition nette dans l’organisation technique des productions de lames polies entre les Alpes occidentales et leurs réseaux de circulation d’éclogites, et le Plateau et le centre de la Suisse où les approvisionnements sont plus resserrés et selon un éventail de roches où les serpentinites tiennent le premier rang. Mais ce jeu d’influence est complexe puisque durant le Néolithique moyen I, la Suisse occidentale et centrale est largement imprégnée par des influences culturelles méridionales, Saint-Uze et Chasséen ancien (Wyss 1988 ; Beeching, Nicod et alii 1997).

La situation change durant le Néolithique moyen II avec la constitution du Cortaillod, qui voit l’apparition nette de marqueurs techniques spécifiques aux groupes culturels et qui distinguent les faciès du Cortaillod de ceux du Chasséen récent. Pour le Chasséen récent, il s’agit du système de production sur éclogites alpines qui est au coeur de notre travail. Pour le Cortaillod, nous relevons des variations selon les régions. En Valais, les transformations sont importantes et en rupture avec la situation antérieure : emploi de roches régionales, recours intensif au sciage et au polissage. Sur les rives du Léman, elles se manifestent par l’intégration aux réseaux de diffusion de métapélites vosgiennes largement implantés sur le Plateau suisse. Dans les avant-pays savoyards les diffusions d’éclogites sont maintenues, mais des mutations techniques sont perceptibles par un recours partiel au sciage (p. 324 , carte 21), l’apparition du polissage transversal, y compris sur les biseaux plans (p. 326), l’adoption des gaines en bois de cerf pour l’emmanchement des haches (p. 386 ; carte 34). Nous pouvons ainsi opposer le Valais et les avant-pays savoyards  : en Valais, la disjonction d’avec les réseaux de diffusion d’éclogites établis antérieurement est totale, tant pour la production que pour l’usage des haches ; la Savoie demeure intégrée aux réseaux de production et de diffusion d’éclogites mais se distingue dans l’usage des haches (emmanchement et entretien de l’outil). Mais, dans toutes ces régions, les outils entiers sont des haches, et les herminettes partiellement adoptées par le Cortaillod du Plateau suisse sont en l’état actuel des données inconnues dans les régions précitées marquées par le Cortaillod.

Durant le Néolithique final, ces influences septentrionales connaissent une nouvelle progression selon deux modes. Dans les régions déjà affectées au Néolithique moyen II, avant-pays savoyards, Léman, Valais, les mutations connaissent une hausse sensible. En Valais, les gaines en bois de cerf indiquent l’adoption de l’emmanchement en herminette (p. 386-388 ; carte 34). Sur le Léman émerge une dynamique de production sur roches métamorphiques de moraines qui s’exprime par des diffusions probables dans le Jura et la vallée de la Saône (p. 354), et par la production avérée de lames de hache-marteau de type Cordé, elles-mêmes diffusées vers l’ouest et le sud dans les avant-pays savoyards et dauphinois (carte 33). Dans ces derniers, les transformations touchent également les domaines de l’emmanchement (apparition des gaines à douille pour les herminettes) et les techniques de fabrication (sciage, polissage à facettes), lesquelles affectent des transformations jusque sur les sites de production et de façonnage des reliefs internes alpins (Sollières, Balm’Chanto). Plus au sud, au sein du réseau de diffusion des éclogites du Sud-Piémont/bassin du Buëch/Préalpes du Sud/moyenne vallée du Rhône, les influences septentrionales sont irréfutables mais plus discrètes et cantonnées aux avant-pays, régions de diffusion des lames polies achevées : apparition de gaines pour des emmanchements en hache (carte 34), circulation de quelques objets perforés à forte valeur de représentation (haches-marteaux, carte 33, simulacres en bois de cerf du S.O.M. ; p. 481-483).