3.3.2 Interprétation historique

Le déroulement de ces faits peut être compris, de manière similaire à la démonstration menée pour les réseaux d’éclogites, comme le développement progressif de réseaux de relations qui s’étendent toujours plus du Plateau suisse vers le sud avec le temps. La dynamique en est complexe et présente deux composantes : d’une part, elle affecte un emboîtement dans les degrés de fait qui peut être cerné au sein même de chaque région, et d’autre part elle s’effectue de manière transversale aux réseaux de circulation des éclogites et uniquement dans les régions de diffusion. Il y a donc bien une structuration d’ensemble dominée (pour le système des haches) par les circulations alpines qui conditionne les modes de diffusion de ces influences septentrionales. De plus, l’évolution des types d’influences peut être mise en parallèle avec les transformations perceptibles dans les Alpes. Durant le Néolithique moyen I, le poids de l’ostentatoire manifesté par les grandes lames polies trouve un écho dans les lames de hache-marteau placées en tombes Chamblandes, et par la distinction de certaines tombes VBQ par les ciseaux. Durant le Néolithique moyen II, le statut de la hache est profondément modifié, les grandes pièces disparaissent, l’attention est alors portée sur les transformations techniques ou fonctionnelles (gaines en bois de cerf), avec des variations selon les régions qui traduisent des gradients dans la disjonction avec le système alpin, celle-ci étant plus importante en Valais qu’en Savoie. Au Néolithique final, le poids du symbolique s’affirme à nouveau dans les Alpes et il s’exprime également dans les influences septentrionales dans les régions de diffusion des éclogites. Mais en parallèle, les transformations techniques de fabrication et d’emmanchement sont limitées à la moitié nord de notre région d’étude et ne font qu’une faible apparition dans la partie sud.

Bien que les réseaux de relations alpins soient toujours directeurs pour la structuration de ces influences septentrionales, il apparaît nettement que celles-ci suivent une progression irréversible, preuve selon nous de leur ancrage profond dans les sociétés touchées. Il ne s’agit pas simplement de diffusions d’objets ou de techniques, mais bien de mutations en profondeur et durable des réseaux de relation entre les communautés. A un niveau général, ces influences traduisent une opposition de fond entre les producteurs de lames polies alpines et leur système de représentation sous-tendue par des réseaux est-ouest à travers les reliefs, et les utilisateurs de haches des avant-pays pour qui les modes d’usage des haches servent plus volontiers de support à des représentations sociales et qui développent peu à peu des réseaux de relations orientés vers les régions où cette attention portée à l’outil est plus grande par une recherche d’amélioration des emmanchements. Quand, au Néolithique final, le système de diffusion des éclogites régresse, suite sans doute à une perte de valeur de ces roches, les représentations ostentatoires qui se manifestent tirent parti de symboles des cultures septentrionales et non plus alpines, préparées en cela par l’installation progressive de ces réseaux de relations dans l’axe des avant-pays rhodaniens.