4. De l’usage au symbole : statut des haches, statut des hommes

4.1 Des symbolisation de formes variées

Dans les Alpes occidentales et le bassin du Rhône, les haches sont des outils communs, efficaces, dont la lame polie a une longue durée de vie si l’on prend soin de l’entretenir et de la refaçonner en cas d’accident. Les lames polies requièrent un grand investissement technique pour leur fabrication, et en particulier celles en éclogites, qui, depuis les modalités de choix des roches jusqu’au façonnage, montrent un investissement en savoir-faire toujours supérieur à celui mis en oeuvre pour les autres roches étudiées (p. 230-235). Il apparaît donc une valeur propre à la roche, en parallèle à la valeur accordée à la lame polie et à l’outil entier. De ce fait, les haches et les lames polies peuvent avoir des statuts extrêmement variables selon que la valeur accordée à l’une ou l’autre des composantes est plus ou moins mise en avant. Les haches peuvent donc être surdéterminées par rapport à leur fonction d’outil et servir de support à des affichages publics dans les relations entretenues entre les personnes : le statut de l’objet engage le statut de son propriétaire.

Nous avons distingué deux grands types de représentation qui tirent parti des haches (p. 494-496) : une symbolisation démonstrative qui utilise les objets pour exprimer des relations de force, et une attitude plus affective ou l’outil est placé au centre du système de valeur. La symbolisation ostentatoire où l’homme cherche à s’afficher à travers l’objet possédé peut prendre trois formes, selon la position de l’homme dans le système de production et de diffusion des lames de hache.

Une première logique est celle du producteur, qui tire parti de son savoir-faire d’exploitant de la roche et de son habileté à préparer des pièces par taille et bouchardage. Elle apparaît clairement avec la production des grandes lames polies de «type Zermatt» qui est motivée par la réalisation des objets les plus grands possibles, parfois sans souci de fonctionnalité. Une telle attitude est perceptible également dans le «type Magland», mais avec une intensité moindre. Tous deux partagent cependant le fait de se retrouver dans des dépôts isolés et intentionnels, dans les régions de production des lames polies (cartes 36, 37).

Un autre forme de surdétermination est celle des personnes qui ne sont pas directement à la source des roches mais ont un rôle dans les phases ultimes du façonnage, et qui portent toute leur attention sur la réalisation de pièces parfaitement symétriques, régulières et polies. Tel est le cas du «type Bégude» avec une volonté esthétique manifeste dans son acceptation stricte (anneau bouchardé).

Les personnes qui sont réceptrices d’objets finis tirent parti précisément de leur capacité à les collecter. Ce peut être le cas pour partie du «type Bégude» (en particulier pour le dépôt lui-même), et pour les haches perforées qui, dans le bassin du Rhône (hormis sur le Léman), sont des objets finis qui circulent sans aucune motivation utilitaire perceptible.

En contrepoint, la symbolisation qui se fonde sur la valeur intrinsèque de l’outil hache est le fait d’un utilisateur. Dans ce cas, la valeur accordée à l’outil vient de la reconnaissance de son efficacité, et, au vu de la longue durée de vie probable des lames de hache, elle induit une relation forte entre l’outil et son utilisateur. Tel est le cas, pensons-nous, pour les petites lames polies placées en dépôts liés ou non au manifestations funéraires, en moyenne vallée du Rhône durant le Chasséen, ainsi que des hachettes-pendeloques du Néolithique final.

Bien que toutes ces attitudes envers sur les haches servent aux individus à se distinguer, leur apparition contrastée et leur chronologie suggère de fortes variations chrono-culturelles qui prêtent à conséquence sur la perception que nous pouvons avoir des relations entre individus dans une société donnée, et partant, de la reconnaissance de différences de statuts entre les personnes.