4.2 Une histoire des symbolisations

4.2.1 De la fin du Néolithique ancien à la fin du Néolithique moyen I (phases 2 et 3)

Une première phase nette de survalorisation des haches est perceptible de la fin du Néolithique ancien à la fin du Néolithique moyen I (nos phases 2 et 3), liée aux implantations de productions sur éclogites dans les Alpes occidentales (supra). Deux attitudes peuvent être reconnues, avec des termes de passage possibles : d’un côté les producteurs avec le «type Zermatt», en gros centré sur les reliefs intra-alpins et les hautes plaines du Piémont, de l’autre les façonneurs avec le «type Bégude», en gros centré sur les Préalpes et les avant-pays du bassin du Rhône, et plus précisément, pour la définition stricte du type, sur les Préalpes du Sud (carte 36). En parallèle, nous pouvons établir un rapprochement avec la production des bracelets et des anneaux-disques, qui montre également une volonté de distinction ostentatoire par la production de grandes pièces, parfois au détriment du soin apporté au polissage final (cas de Chambéry, pl. 166 à 168). Dans un contexte d’établissement de relations d’échanges de part et d’autre des Alpes occidentales (supra), cette volonté de produire et de façonner de grandes pièces, pour certaines de proportions telles qu’elles en deviennent inutiles, démontre une surenchère entre les individus et/ou les groupes producteurs.

En Irian Jaya, deux types de configuration sociale déterminent l’exacerbation de telles compétitions entre les hommes : soit une augmentation démographique forte qui exacerbe les tensions entre les hommes et les oblige à donner toujours plus pour les paiements de mariage et les échanges (cas des Dani de la Baliem), soit l’existence de hiérarchies héréditaires au sein des communautés, dans lesquelles la production et la thésaurisation de pièces d’exception sert de justification au pouvoir (cas d’Ormu Wari ; Pétrequin et Pétrequin 1993). Ces deux interprétations semblent a priori peu appropriées au contexte général des sociétés rhodaniennes et alpines de la fin du Néolithique ancien et du Néolithique moyen I, mais il convient cependant d’examiner les faits de près.

En faveur de la première interprétation, aucune donnée n’est disponible en Piémont. Par contre, en moyenne vallée du Rhône, les travaux paléo-environnementaux sur de grandes séries de sites permettent de mettre en évidence l’existence une phase de troncature généralisée des vallées et des terrasses à la fin du Néolithique ancien, provoquée par une déstabilisation des versants (Berger et Brochier 2000). Cette érosion est reliée à une emprise humaine accrue sur les écosystèmes est peut être mise en parallèle avec la forte densité de sites reconnus dès le Néolithique ancien dans cette région (Valdaine, etc. ; Beeching, Brochier et Cordier 2000). Or, le «type Bégude» est précisément bien représenté dans cette région, et le dépôt éponyme démontre sans ambiguïté la thésaurisation d’un lot de pièces exceptionnelles façonnées spécialement (p. 468-470). Nous serions donc face à des collecteurs qui tirent profit de leur capacité à réunir des pièces exogènes, en faisant jouer en plein les réseaux de relations transalpines. Les indices sont donc ténus mais concordent en faveur d’une compétition sociale accrue entre les hommes durant les phases anciennes du Néolithique moyen en moyenne vallée du Rhône. Mais cette interprétation est à tester par l’examen des autres données de l’archéologie.

La deuxième interprétation, dans le sens de hiérarchies héréditaires, ne peut être que conjecturale puisqu’à notre connaissance, aucun élément ne peut être avancé en ce sens. Mais il est vrai que les sépultures de cette période, qui pourraient apporter des éléments de réponse, sont à ce jour inconnues en moyenne vallée du Rhône. Par contre, il est possible que les signes de distinction très forts qui apparaissent dans les sépultures de la fin du Rubané et dans les phase anciennes du rituel Chamblandes du Plateau suisse soient le signe de rapport sociaux largement inégalitaires, mais nous avons précisément montré que les supports de ces distinctions (haches-marteaux, pour le Chamblandes) sont cantonnés, pour ce que nous en savons, en dehors des Alpes occidentales et du bassin français du Rhône (supra).

Un point demeure irréductible : l’émulation pour la fabrication de grandes pièces apparaît dans les hautes plaines du Piémont et dans les reliefs intra-alpins, dans des régions où aucun signe d’intensification démographique ni indice d’inégalités sociales n’est à ce jour reconnu. Il s’agit peut-être d’un défaut de documentation, mais ce fait incite à réfléchir à d’autres formes d’émulation. Du point de vue du producteur, la démonstration des capacités à fabriquer de grandes pièces selon un savoir-faire de haut niveau (le plus haut atteint pour les productions alpines) est peut-être un moyen de reconnaissance pour l’établissement de relations d’échanges privilégiées avec les communautés transalpines dans le but de créer des réseaux solides pour obtenir d’autres biens en contrepartie. L’hypothèse que nous avons formulée sur les échanges matrimoniaux sur la base des céramiques (supra), donne du poids à l’idée d’une mise en avant, de la part des communautés de producteurs, de leur savoir-faire dans le cadre de relations sociales à longues distances.