5. In fine

L’un des résultats de notre travail, outre l’élaboration d’une documentation inédite ou peu étudiée jusqu’à présent, est, pensons-nous, la mise en évidence du rôle fondamental des dynamiques sociales dans l’évolution des systèmes techniques néolithiques alpins. Le poids des représentations et des symboles impliqués dans les relations d’échanges généralisés qui sous-tendent les réseaux transalpins indique assez le rôle moteur des relations sociales auxquels les systèmes techniques sont inféodés. Cependant, cela ne signifie pas que les contraintes techniques et écologiques ne soient pour rien dans le fonctionnement de ces systèmes. Des premières, nous avons fait la part au cours de l’étude ; les secondes sont encore trop peu documentées dans les Alpes occidentales pour que nous ayons pu les intégrer pleinement à notre réflexion. Dans cette explication des réseaux d’échanges, nous avons vu combien les reliefs alpins, et surtout les plus élevés d’entre eux, tiennent une place centrale dans la structuration territoriale des régions alentours. Dans ces reliefs, les informations disponibles sont cependant à ce jour encore rares et inégales, et les perspectives d’étude apparaissent importantes. Nous considérons donc ce travail comme une introduction à de nouvelles recherches sur la Préhistoire des Alpes.

PerspectivesParvenu au terme de ce travail, nous souhaitons, en guise de conclusion, évoquer les pistes de recherche qui nous semblent fructueuses pour prolonger l’enquête sur les haches alpines. Deux grands axes sont à considérer.

Au sein de l’aire de travail fixée, la poursuite des recherches est nécessaire pour préciser les données existantes, réduire les points d’incertitude et documenter ceux qui demeurent inconnus. A la source des productions, la reconnaissance des gîtes d’extraction des roches tenaces, en particulier des éclogites, et des sites de premier façonnage est une nécessité d’importance qui constitue un véritable programme de recherche en soi, par l’étendue des affleurements et la diversité des sources possibles dans les Alpes internes. Les prospections que nous avons mené en ce sens, en marge du coeur de notre travail sur les objets, nous ont permis de délimiter plusieurs secteurs prometteurs dans les vallées et les reliefs piémontais, qu’il conviendrait de prospecter et de sonder de manière intensive. Il en est de même sur le versant français des Alpes, en particulier pour les affleurements de serpentinites exploités pour la production de pointes de flèche et peut-être de bracelets. La caractérisation des matériaux est également un volet d’étude à poursuivre, afin de préciser les données acquises sur les roches identifiées, et de lever les incertitudes sur les productions périphériques encore mal comprises, en particulier sur les roches «valaisannes». Ces précisions pourraient être apportées à la faveur d’études archéologiques sur de nouvelles séries de lames polies, provenant de fouilles et de contexte chrono-culturels bien établis. Ces nouvelles études seront seules à même, pensons-nous, de mettre à l’épreuve les interprétations proposées dans ce travail. En particulier, les Alpes internes et le Sillon alpin souffrent une évidente carence en documentation sur le Néolithique. Dans ce sens, nous nous sommes déjà engagé sur les études du mobilier poli de deux sites du Néolithique moyen intra-alpin, Sion/Petit-Chasseur dans le Valais, sous la direction de Marie Besse (Département d’Anthropologie de l’Université de Genève), et Bozel/les Moulins-Chenêts de Pierre en Tarentaise, sous la direction de Pierre-Jérôme Rey. Dans les deux cas, l’étude proprement archéologique sera étroitement couplée à une enquête pétrographique détaillée. En outre, il nous semble important d’envisager désormais ce type d’étude pour toute série de mobilier poli nouvellement mis au jour. A contrario, les collections anciennes de lames de hache sans contexte n’apporteront sans doute que très peu de nouvelles données, sauf sur des cas particuliers : pièces exceptionnelles, régions non documentées à ce jour, etc.

Un des apports de cette étude voulue très large, est de mettre en évidence le fonctionnement des productions alpines selon un système interactif de la production à l’usage, qui est influencé par les régions alentours et agit en retour sur les productions non alpines selon des processus de diffusion, de transfert et de périphérisation. Cette histoire des haches dont nous avons posé les fondements pour les Alpes occidentales, doit trouver un développement par un approfondissement des études dans les régions alentours des Alpes, tant dans les régions que nous avons brièvement mises à contribution ici, que dans celles extérieures à notre enquête. Pour les premières, un travail de fond serait à entreprendre sur les circulations de lames polies alpines et les productions en roches tenaces régionales dans la partie occidentale du bassin du Rhône, du Morvan aux Cévennes, et au-delà au sein du Massif Central. Pour les secondes, le renouvellement des études en Italie du Nord ouvre des perspectives de travail importantes illustrées par les résultats acquis en Ligurie, dans les Apennins et la plaine padane, perspectives qui pourraient être couplées avec les problématiques plus spécifiquement montagnardes et transalpines dans les Alpes centrales et orientales, en direction de l’Autriche, de l’Allemagne du Sud et de la Suisse orientale. En Suisse, les études ont pris un réel retard malgré l’abondance des lames polies en roches alpines, et les études de cas, bien que trop peu nombreuses encore, pourraient être enrichies par une prise en compte plus large à une échelle régionale des productions et des diffusions.

Approfondissement des connaissances sur les productions et les diffusions alpines, reprises ou intensification des études sur les haches dans les régions alentours, ces considérations ne constituent pas tant des intentions personnelles qu’un plaidoyer pour un renouvellement des études sur les haches néolithiques. Etudes qui nous semblent autant sinon plus importantes pour les perspectives qu’elles offrent pour la compréhension des sociétés néolithiques européennes, que pour la connaissance historique d’un outil remarquable. Pour nous, ce mémoire sur le cas des Alpes occidentales ne saurait être qu’une introduction à un travail de fond et de longue durée sur ces questions.