Bref historique des collections

Les collections de lames polies (ainsi que d’autres objets archéologiques) se sont constituées à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, en synchronie avec le développement de la discipline préhistorique (Laming-Emperaire 1964, 4ème Partie). Dans le sillage des grandes personnalités scientifiques, de nombreux savants et érudits locaux ont constitué des collections privées, alimentées par achats, collectes et par leurs travaux de fouilles et de prospections -les deux notions ne sont pas toujours distinctes jusqu’à la promulgation de la loi de 1941-. Les haches polies figurent en bonne place dans ces collections, par attrait pour les beaux objets, par facilité de collecte -elles se remarquent mieux que les silex taillés ou la céramique-, et sans doute aussi par tradition inscrite dans les vertus attribuées aux pierres à foudre. Les collections ainsi réunies sont importantes si l’on en croit les chiffres donnés par les préhistoriens de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Jullien annonce pour le département de l’Ardèche plus de 60 lames polies dans la collection de Jules Ollier de Marichard, et environ 50 pièces dans celle de Vallentin (Jullien 1914, p. 102). Florian Vallentin parle de 114 lames polies dans la collection d’un amateur de Montélimar (Vallentin 1878, p. 12) et de plus de 200 autres signalées à lui par des bergers (ibid., p. 26). David Martin, géologue-préhistorien de formation et conservateur du musée de Gap à partir de sa retraite en 1894, qui mène de nombreuses prospections dans la vallée du Channe (bassin du Buëch), note en 1908 dans son carnet de travail manuscrit (déposé aux Archives Départementales de Gap) : «La vallée de Savournon est peut-être la région qui a le plus fourni de documents néolithiques. Des centaines de haches polies de cette vallée ont été disséminées depuis plus de 60 ans à tous les amateurs de passage.» (cité in Lombard 1996, p. 62). En 1930, H. Müller estime le nombre de lames polies découvertes dans le Sud-Est de la France à plus de 10000 et écrit en posséder «plus de 300» (Müller 1930, p. 12), tandis que «Paul Plat d’Orpierre, a recueilli en quarante ans, au moins 3000 haches» (Müller 1932). La pêche aux antiquités lacustres, particulièrement intense sur les lacs suisses et jurassiens à partir de 1854 (Collectif 1979 ; Roulière-Lambert 1985), touche également les lacs préalpins français (Marguet 1995) et fournit de forts contingents d’objets, dont de nombreuses lames polies.

Toutes les lames polies n’ont pas été découvertes par leur propriétaire : la phrase de D. Martin ainsi que de nombreuses indications dans les publications d’époque et sur les étiquettes des objets montrent qu’un véritable réseau d’informateurs et de vendeurs a dû opérer de manière plus ou moins formelle, permettant de recueillir le fruit des découvertes fortuites liées aux travaux agricoles, de terrassements ou d’extraction. Le fait est démontré en particulier par les collections de Paul Plat : résidant à Orpierre dans les Hautes-Alpes, il prospectait et fouillait dans la vallée du Buëch, collectait des objets isolés, surtout des lames polies, vendait une partie à des archéologues et les invitaient à venir fouiller sur ses sites. C’est ainsi que les collections du colonel Vésignié sont constituées, pour les Hautes-Alpes, pour partie par des travaux menés en collaboration avec P. Plat, pour partie par des achats à celui-ci : les étiquettes portant prix et dates sont encore conservées dans certaines boîtes d’époque déposées avec leur contenu à l’Institut de Paléontologie Humaine du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Ces collections pléthoriques ne sont pas toutes parvenues jusqu’à nous : beaucoup ont été dispersées, vendues, ou sont demeurées privées et inconnues. Certaines ont transité par une tierce personne avant d’être déposées dans un musée : c’est le cas d’une partie des importantes collections d’H. Müller et de celles d’A. Blanc (cf. infra).

Comme les collections anciennes constituées plus récemment regroupent des pièces isolées et des séries de ramassages de surface sur des sites archéologiques, et parfois de piochages non déclarés. Le développement des fouilles néolithiques dans la seconde moitié du XXème siècle de la part d’archéologues amateurs ou professionnels au sein des organismes de recherche (C.N.R.S., Universités, collectivités territoriales), puis le développement des fouilles de sauvetage ont provoqué un rapide renouvellement de la documentation de terrain. Pour notre région d’étude, trois pôles de recherche sur le long terme ont fourni depuis deux décennies un apport documentaire et interprétatif conséquent par le dépassement de la tradition des fouilles ponctuelles de sites archéologiques au coup par coup. Il s’agit des recherches menées en Valais et dans le lac Léman à l’instigation du Département d’Anthropologie de l’Université de Genève, sous la férule de M.-R. Sauter puis d’A. Gallay, dont le programme PAVAC a constitué une formalisation temporaire (Baudais, Curdy et alii 1987 ; Baudais, Brunier et alii 1989-90) ; des prospections, inventaires et sondages fédérés et menés de manière intensive par le C.N.R.A.S. (devenu le D.R.A.S.S.M.) depuis 1980 sur les lacs préalpins français, sous la direction d’A. Bocquet puis d’A. Marguet (Marguet 1995) ; et des programmes successifs du Centre d’Archéologie Préhistorique de Valence conduits depuis 1984 sous la direction d’A. Beeching et de J.L. Brochier, programmes auxquels nous participons depuis 1993 (Beeching et Brochier 1989-90, 1990 ; Beeching et Brochier dir. 1989, 1994).