UNIVERSITÉ LUMIÈRE – LYON 2
Sciences de l’information et de la Communication
THÈSE
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DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ LYON 2
6 Décembre 2001
LE JOURNAL QUOTIDIEN SUR LE WEB
Dispositif, forme, et identité éditoriale
Directeur de thèse : M. le Professeur Jean-François TÉTU
JURY
M. Yves JEANNERET
M. Jacques PERRIAULT
M. Jean-François TÉTU
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RÉSUMÉ - Le journal quotidien sur le Web : dispositif, forme, identité éditoriale

Cette thèse est d’abord une étude sémiologique du dispositif technique et du dispositif formel des journaux d’actualité générale sur le Web. Cet ensemble de formes est envisagé comme une expression privilégiée de l’énonciation éditoriale. L’étude montre comment le dispositif co-produit le journal et son omniprésence lors de la consultation. Elle affirme aussi clairement la responsabilité éditoriale.

L’analyse d’un corpus international témoigne des tensions existant entre une instance éditoriale qui s’affiche ostensiblement et l’apparente neutralité des informations présentées et calibrées au sein de structures tabulaires. Les éditeurs, désireux de signifier la richesse de leur site et leur maîtrise du flux informationnel, proposent une quantité importante d’informations gérées de façon automatique au sein d’une maquette préprogrammée. Quantité et concentration laissent dès lors fort peu de place pour une mise en valeur de l’actualité au sein de ce dispositif qui impose une fragmentation importante.

L’étude des temporalités des sites révèle l’existence de trois registres essentiels : l’éphémère d’une actualité renouvelée, la permanence d’informations disponibles plus longtemps, le stockage d’articles intégrés aux archives. Le journal sur le Web emprunte à la fois aux agences d’information et aux bases de données.

Les éditeurs visent le public le plus large possible et tente de le maintenir à l’intérieur de leurs sites grâce aux liens hypertextes autoréférentiels.

Prégnance de la technique, fragmentation, calibrage et automatisation constituent des ingrédients essentiels au journal sur le Web. Il appartient ainsi au lecteur de créer, in fine, le seul lien qui importe : celui du sens.

ABSTRACT - Daily newspapers on the Web : device, form and editorial specificity

This thesis is primarily a semiological study of the technical and formal devices employed by mainstream daily newspapers on the web. Form is considered as an essential means of editorial communication. This study, which clearly asserts the responsibility of the editorial instance, reveals that the devices co-produce the newspaper and are omnipresent throughout the visit. Study of an international corpus reveals the tension between an ostensibly present editorship and the seeming neutrality of the information presented and graded in boxes. Editors are eager to flag the diversity of their web sites and their mastery of informational flux, and present substantial amounts of information controlled semi-automatically within pre-fabricated layouts. The sheer volume and density of information all but pre-empt any possible privileging of news items within such a format that necessarily induces substantial fragmentation. A study of the temporal evolution of the web sites reveals three major registers: ephemeral and rapidly updated news stories, more permanent information, and the storage of articles in an archive. Online newspapers function both as news agencies and databases. The editors seek to capture the widest possible public and try to keep them within the site through internal hypertext links. Fragmentation, hierarchisation and automation are the main ingredients of the online paper. It is thus up to the reader to create the most important links – the links of meaning.

MOTS-CLÉS : journal, Internet, dispositif, forme, identité, énonciation, éditeur, hypertextualité, temporalité, mise en page, graphisme.

PRÉAMBULE
Naissance d’un projet de recherche, premiers questionnements

On aurait presque tendance à l’oublier, tant le phénomène a pris de l’ampleur aujourd’hui, mais les liens qui unissent le réseau Internet et les grands médias de masse que sont la presse imprimée, la radio et la télévision sont très récents. En France, par exemple, il faut attendre l’année 1994 pour que les médias s’intéressent au réseau Internet. Ce dernier devient même un des sujets « obligés » du moment. Il en résulte une floraison d’articles et d’émissions de vulgarisation, de présentations plus ou moins rigoureuses, dont la tonalité pourrait aisément être qualifiée de sensationnelle...1 Cet intérêt subit, ces articles et émissions qui semblaient se répondre, manifestant des sentiments mêlés d’attraction et de répulsion, ont éveillé notre curiosité. La naissance annoncée d’un nouveau média ne pouvait qu’intéresser une étudiante en sciences de l’Information et de la Communication. Mais à cette époque, les médias français sur l’Internet étaient rares, l’offre d’information désespérément succincte. Par ailleurs, l’accès au réseau semblait réservé à quelques privilégiés, essentiellement des chercheurs, des universitaires et quelques passionnés d’informatique. Les fournisseurs d’accès se trouvaient pratiquement tous à Paris ; les procédures de paramétrage en vue de la connexion au réseau demeuraient complexes : l’offre paraissait essentiellement viser le marché des entreprises. Tenant compte de ces nombreuses difficultés, nous avons alors choisi d’étudier les discours de présentation de l’Internet dans la presse française, pour mettre à jour les stratégies discursives à l’oeuvre, témoignant de la position de médias « reconnus » face au phénomène émergent que constituait l’apparition programmée du réseau dans le paysage médiatique français2.

Durant les années 1995 et 1996, en France toujours, quelques journaux semblent désormais vouloir tenter l’expérience du « journal électronique »3. Ils ont constitué notre objet de recherche suivant. À travers l’étude de l’offre et l’analyse des discours des producteurs, nous souhaitions comprendre quelle nouvelle forme de presse d’actualité se dessinait sous nos yeux. Notre travail nous a permis de découvrir une offre disparate présentant fort peu de signes de maturité (fréquents changements de maquette, périodicité irrégulière, nombreuses pages en travaux, ...), une indigence certaine en matière de contenus et de nombreux dysfonctionnements techniques4. Cette situation était le résultat de stratégies élaborées par tâtonnements, sans objectifs clairs, un manque évident de moyens financiers auquel il faut ajouter de grandes difficultés à penser les spécificités de ce nouveau moyen d’information. Les questions lancinantes concernant l’hypothétique viabilité économique de ces éditions en ligne n’arrangeaient rien... Malgré les apports de cette recherche, de nombreux points restaient en suspens : les objectifs assignés à une version Internet du journal papier, les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre ces objectifs, les modes de valorisation de l’information d’actualité sur le réseau, les solutions pour rentabiliser l’édition en ligne, les nouvelles formes de médiation induites par ce journal d’un nouveau genre, etc. Toutes ces questions essentielles semblaient attendre une plus grande maturité de l’offre et du marché pour être rediscutées... Quelques années ont passé et même s’il est encore trop tôt pour affirmer que notre objet d’étude s’est stabilisé, l’offre s’est considérablement développée et mérite à nouveau que l’on s’y intéresse.

Nous avons pensé qu’il était utile de faire ce court rappel concernant les années précédant la mise en chantier de cette recherche ; des années d’observation, des années qui ont vu notre objet évoluer de façon considérable. Nous souhaitons ainsi prévenir le sentiment de suspicion que fait naître parfois l’intérêt porté à un objet trop neuf, pris dans les mailles d’une actualité omniprésente, souvent contradictoire.

Parce que nous désirons effectivement inscrire notre recherche par-delà les turbulences de cette actualité éphémère, nous nous appliquerons, dans l’introduction, à établir quelques repères historiques et théoriques, véritables fondations de notre travail. Ces rappels contribueront à insérer cette étude dans le cadre de réflexions déjà engagées et par rapport auxquelles nous tentons de nous situer. Il s’agit d’exploiter des résultats scientifiques pour ce qu’ils peuvent nous apporter en terme d’élaboration conceptuelle notamment, sans oublier de penser la spécificité de notre objet de recherche en établissant les outils méthodologiques appropriés. Ces règles qui régissent tout travail de recherche nous semblent d’autant plus justifiées que l’on s’intéresse à un objet en cours de constitution...

Notes
1.

Ainsi, Le Monde titre le 15 juin 1994 en parlant d’Internet « Au grand bazar des branchés » et Libération compare le réseau à « une société secrète aux ramifications mondiales » dans un article du 4 septembre 1994, pour ne citer que ces deux extraits.

2.

Les journalistes dans l’ensemble proposaient une vision assez critique mais terminaient souvent leur article en annonçant leur prochaine implantation sur la toile. Ce travail de recherche a été réalisé en 1995 dans le cadre d’une année de maîtrise en Sciences de l’Information et de la Communication.

3.

Les premiers quotidiens français à « occuper le terrain » selon les termes des acteurs concernés furent Libération, Le Monde, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Nice Matin et Le Progrès de Lyon.

4.

Travail réalisé dans le cadre d’un DEA en Sciences de l’Information et de la Communication consultable sur l’Internet à l’adresse : http://www.enssib.fr/bibliotheque/documents/dea/touboul.pdf