1. L’information : un marché concurrentiel

Longtemps en situation de quasi-monopole en matière de diffusion d’informations d’actualité, la presse quotidienne a vu sa domination remise en question par l’émergence de nouveaux médias mais aussi par d’autres formes de presse. Bien évidemment, chaque fois que se présente un possible concurrent, la presse s’inquiète et se sent menacée. La presse quotidienne co-existe aujourd’hui avec d’autres supports d’information et semble de fait toujours plus fragilisée. La concurrence ne suffit pourtant pas à expliquer toutes les difficultés actuelles. Pour en faire une rapide présentation, nous choisirons un éclairage dit “écologique” pour mettre en perspective certains problèmes de la presse quotidienne avec les grandes évolutions sociales dont essayistes, chercheurs, journalistes font régulièrement l’analyse ou le constat.

Premièrement, le poids de la politique dans la vie sociale s’émousse au profit de l’économie. Marc Lits, s’appuyant sur les travaux du journaliste Jean-Claude Guillebaud et des chercheurs Gabriel Thoveron et José-Marie Nobre-Correia associe clairement le déclin de la presse écrite d’information et plus particulièrement de la presse d’opinion avec la fin des grandes idéologies politiques et l’instauration de l’économie libérale « en mode de pensée majoritaire, sinon unique24 ».

Parler de la société de consommation est aujourd’hui d’une grande banalité tant l’emprise du marketing apparaît forte, quel que soit le domaine d’activité. L’industrie mais aussi les activités de services, le monde associatif de la culture, de l’enseignement, de l’humanitaire et même de la politique sont touchés par la fièvre du marketing. Le marketing se soucie du marché et plus précisément de la cible que peut toucher le produit. Appliqué au monde des médias, le marketing envisage les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs comme les clients, comme les consommateurs, d’une information-marchandise. Le produit médiatique devra donc plaire et pour cela, ajuster forme et contenu à la demande supposée.

Mais chacun sait que les ventes d’un produit d’information ne suffisent pas à en assurer la viabilité économique. Les lecteurs / auditeurs / téléspectateurs, loin d’être les seuls financeurs se voient bien souvent objectivés, transformés en unité mesurable par les instituts de sondage ; leur agrégation et leur connaissance relative devenant ainsi une valeur économique d’échange permettant d’attirer des annonceurs en quête de visibilité et d’en fixer le prix. Toutes les stratégies mises en oeuvre par les journaux répondent aux impératifs du double marché où le produit est vendu à la fois au lecteur et à l’annonceur, quoiqu’il serait plus juste de dire que l’annonceur achète le lecteur plutôt que le produit. Dans le cadre des médias de flots, le seul financement par la vente de l’audience (publicité) des produits d’information (cession d’images, principes d’émission), ou pour les chaînes publiques, de subventions, a longtemps prévalu. Depuis le développement des chaînes à péages, câblées ou autres bouquets satellites, le financement direct par le consommateur sous forme de paiement à l’acte (pay per view), de commission sur vente (téléachat) ou de forfait (abonnement) sont venus compliquer les règles du jeu. Quoi qu’il en soit, la logique économique des médias de masse transforme le destinataire en consommateur à double titre : consommateur de produits d’information (gratuit ou payant) et de services, et consommateur potentiel ciblé par les annonceurs publicitaires. Dès lors, les médias doivent être attentifs aux intérêts des consommateurs, les détecter et les satisfaire. Pour cela il faut parfois déterminer des niches, fragmenter l’offre. Il faut aussi séduire grâce à des maquettes, un graphisme et des illustrations plaisantes. Il faut bien évidemment fidéliser et donc proposer ou simuler la nouveauté permanente. En dernier lieu, il faut rassurer en offrant des contenus d’accès facile, du divertissement. Sans oublier d’encourager la participation des destinataires, stratégie bien connue des dirigeants d’entreprise pour impliquer et flatter les différents acteurs de l’organisation25. Ce dernier point est aussi évoqué par Marc Lits qui affirme que « pour parler en termes de journalisme, le micro-trottoir et le témoignage ont remplacé la fonction éditoriale26 ». Francesco Casetti et Roger Odin analysent en termes proches le passage de la paléo à la néo-télévision27. Cette évolution du monde occidental, repérée depuis plusieurs années déjà, semble nous conduire vers une situation apparemment paradoxale d’une individualisation toujours plus forte de la consommation de masse.

Par rapport à ces évolutions d’ordre général dans les pays du monde occidental, quels sont les problèmes plus spécifiques à la presse imprimée ?

Notes
24.

LITS Marc, « De la presse écrite à Internet, Opinion, débat public et transformation des modes d’énonciation », in Sociétés et Représentations n°9 , op. cit., p. 87-104. Les travaux auxquels Marc Lits fait référence sont les suivants : GUILLEBAUD Jean-Claude, Les Années orphelines. 1968-1978, Seuil, Paris, 1978, et THOVERON Gabriel, NOBRE-CORREIA José-Marie, « Concentration de presse et contenu du journal », in La Revue Nouvelle, t. LXVI, n° 9, sept. 1977.

25.

Nous faisons référence ici au “management participatif” très en vogue depuis les années 80 pour créer l’adhésion du personnel. Ce type de perspective peut aussi être décliné auprès des publics externes à l’organisation avec la multiplication des “numéros verts” et services consommateurs en tout genre à l’écoute des remarques ou suggestions de ces derniers.

26.

LITS Marc, « De la presse écrite à Internet, Opinion, débat public et transformation des modes d’énonciation », in Sociétés et Représentations,n° 9, op. cit., p. 94

27.

CASETTI Francesco, ODIN Roger, « De la paléo à la néo-télévision », in Communications n° 51, « Télévisions / mutations », Seuil, Paris, 1990, p. 9-26