4. Austérité de la forme et des contenus versus plaisir esthétique de la maquette et divertissement.

Obligée de plaire, la presse quotidienne ne peut pourtant pas bouleverser radicalement ses modes de fonctionnement fondamentaux, tels que la présentation hiérarchisée des informations, au risque d’y perdre son âme et sa raison d’exister. Or, à l’exception des tabloïds populaires, la presse privilégie généralement les informations politiques, économiques, qu’elles soient nationales, internationales ou locales. Les faits divers aussi accèdent souvent au rang d’informations prioritaires (à moduler en fonction de la politique éditoriale des journaux bien sûr), le reste des informations, (sport, santé, sciences, arts, etc.), étant perçu comme moins sérieux, plus futile, se voit relégué au rang des informations mineures. Or l’information d’actualité générale dont les sujets sont souvent complexes et peu réjouissants peuvent rebuter, lasser. Conscient du problème, le rédacteur en chef du quotidien Libération, Serge July, déclarait en 1990 que « ‘les quotidiens devaient se positionner par rapport aux magazines et occuper, en plus du terrain politique, celui de la culture, de la société »’ 32.

Cette volonté qu’exprime Serge July ne vise pas uniquement une consolidation voire une augmentation de son lectorat. Il s’adresse aussi aux annonceurs qui apprécient qu’une publicité pour la sortie d’un disque ou une promotion sur du matériel informatique vienne s’insérer dans les pages consultées par les lecteurs qui correspondent à son coeur de cible. Par ailleurs, le terme de magazine évoque plus de variété dans la mise en page, plus de place laissée à l’illustration, plus de couleur. Et cela constitue un argument de poids pour les annonceurs, souvent fort déçus du rendu de leurs encarts publicitaires, mal imprimés sur du mauvais papier, noyés dans la masse des valeurs de noir et de blanc d’une page de quotidien. Dans le registre de la séduction et du plaisir, considérant l’austérité de la forme et des contenus de nombreux quotidiens d’actualité générale (mis à part certains titres dits populaires), considérant aussi l’effort que représente l’acte de lire, la radio et surtout la télévision représentent très certainement des concurrents bien menaçants. Même s’il n’est plus de mise aujourd’hui de parler de réception télévisuelle en termes de passivité, il demeure que regarder la télévision ne demande pas, de prime abord, de compétences rares et spécifiques. Ce qui n’est pas le cas de la lecture en général, a fortiori celle du journal quotidien avec ses petits caractères, ses colonnes qui n’en finissent plus, ses espaces rédactionnels aux constructions souvent bancales, fragmentées et sa lisibilité considérablement amoindrie par une qualité d’impression médiocre.

Notes
32.

Propos retranscrits par Élisabeth CAZENAVE et Caroline ULMANN-MAURIAT, Presse, radio et télévision en France, de 1631 à nos jours, Hachette Supérieur, Paris, 1995, p. 221. L’entretien de Serge July a été publié dans MédiasPouvoirs n° 19, juillet / septembre 1990.