5. Un objet fini produit par une industrie lourde versus un flux continu dont la production est en grande partie externalisée.

Matérialité et finitude du journal imprimé ont de nombreuses conséquences qui ont été souvent analysées, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Citons rapidement les contraintes de format, de support, de modes et durée de fabrication33. Lorsqu’on fréquente les lieux de production d’un quotidien, l’expression « industrie culturelle » prend tout son sens. Le terme d’industrie évoque immédiatement une production mécanisée, des ouvriers, des syndicats (même si leur déclin dans le monde est bien réel) et un dispositif de diffusion / distribution extrêmement lourd et complexe. Concernant la presse quotidienne, ces paramètres sont particulièrement importants si l’on considère le prix relativement bas d’un quotidien et l’obligation de se trouver dans les kiosques et boîtes aux lettres tous les matins. On imagine aisément l’angoisse que procure la nécessité d’un fonctionnement sans défaillance liée au sentiment permanent d’urgence que génère un bouclage quotidien.

La lourdeur, la complexité de ce dispositif de production et de distribution et surtout son coût représentent paradoxalement un frein majeur à une diffusion large et massive. Chaque quotidien ne peut se permettre d’inonder de façon inconsidérée un vaste territoire tant les invendus coûtent cher. Bien au contraire, chacun se doit de déterminer un nombre d’exemplaires et un territoire de diffusion limité. Évidemment lorsqu’un lecteur habitué de Ouest-France quitte l’Ouest de la France pour quelques temps, il aura bien du mal à garder le contact avec l’actualité de sa région.

On voit bien ici les avantages que tirent les médias de radiodiffusion de leur situation particulière. Médias de flot, ces derniers ont certes des contraintes de format, de support, de mode de fabrication et de temporalité. Mais contrairement à la presse quotidienne, la production des contenus est le plus souvent décentralisée. Les patrons des canaux de télédiffusion, les responsables de la programmation, des achats, etc. choisissent des prestataires externes à l’entreprise et n’entretiennent pas le même lien de dépendance vis-à-vis des structures de production que les dirigeants de quotidiens avec le personnel en charge de l’impression par exemple. Autre avantage de la télédiffusion à l’heure des satellites, elle permet d’être reçu partout dans le monde pour un coût qui, s’il n’est certainement pas négligeable, n’est pas rédhibitoire au point d’interdire toute perspective de diffusion mondiale.

Enfin, autre atout en faveur des médias audiovisuels, la continuité de la diffusion et donc une certaine permanence. Par comparaison, le journal quotidien ne « paraît » qu’une fois par jour (le plus souvent), proposant un lien épisodique avec l’actualité sous la forme de numéros qui se succèdent. De plus, la lecture du journal a ses périodes de prédilections dans la journée, situées généralement le matin.

En conclusion, les journaux de la presse quotidienne, parfois qualifiés de dinosaures, à la fois imposants, lourds, vieux et lents dans leur développement, connaissent des difficultés d’adaptation et de cohabitation avec les médias d’information plus récents. Ils répondent difficilement « à l’obligation faite à l’offre de s’adapter aux conditions nouvelles créées par la saturation des marchés traditionnels »34. Certaines études présentent des signes encourageants de reprise semblant attester que les mauvaises années sont désormais révolues35. Cependant, la presse quotidienne, devenue la propriété de quelques grands groupes de communication ou groupes financiers, résiste difficilement à la logique du profit qui prévaut dans les sociétés libérales36. Les « dérapages », véritables « bavures journalistiques » viennent régulièrement entamer le « crédit-confiance » des récepteurs37. La course à l’audience mène souvent au pire : fausse information, trivialité, etc. Faible consolation pour les journalistes des quotidiens, cette perte de confiance ne touche pas que le monde de la presse ; c’est bien l’ensemble des médias qui est concerné.

Malgré toutes ces difficultés, la presse imprimée se bat pour survivre, à la recherche d’un nouveau souffle qui lui permettrait de retrouver le chemin du succès et des profits. De nombreuses réflexions sont menées, des expériences tentées... La volonté de se diversifier participe de cette résistance à la crise. Parmi ces expériences se trouvent les premières formes de presse électronique, ancêtres de la presse en ligne actuelle. Il nous a semblé nécessaire de faire un court détour par ces « préfigurations de la presse électronique »38.

Notes
33.

Quelques-uns de ces aspects sont traités dans MOUILLLAUD Maurice, TETU Jean-François, Le journal quotidien, Presses Universitaires de Lyon, 1989, 204 p. et les premières pages de JAMET Claude, JANNET Anne-Marie, La mise en scène de l’information, L’Harmattan, Paris, 1999, 299 p. Ce dernier ouvrage propose une approche de la presse imprimée mais aussi de la télévision.

34.

MOEGLIN Pierre, « L’approche socio-économique des médias », in Médias et communication en Europe, sous la direction de Bernard MIEGE, Presses Universitaires de Grenoble, 1990, p. 56

35.

En 1999, on peut lire notamment dans la Newsletter de l’AMJ (Association Mondiale des Journaux) que « les ventes de quotidiens sont à nouveau en hausse dans beaucoup de pays [...] Les revenus publicitaires des journaux on enregistrés une croissance sensible ... »

36.

Voir l’intéressant dossier des Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 131-132, mars 2000, intitulé « Le Journalisme et l’économie ».

37.

Le sondage sur la perception des médias par les français, commandité annuellement par le quotidien La Croix et l’hebdomadaire Télérama, confirme régulièrement la défiance de la population vis à vis des principaux organes d’information du pays.

38.

En référence au travail de Pierre CHAPIGNAC, Préfiguration de la presse électronique : les leçons de la télématique, SJTI (Service Juridique et Technique de l’Information et de la Communication), La documentation Française, Paris, 1995, 260 p.