2. En France, le Minitel et la presse : découverte, tâtonnements et développement de la concurrence.

Pour apaiser le conflit qui l’oppose à la presse, la DGT accorde de nombreux privilèges à cette dernière : dès 1981, elle obtient une aide financière pour démarrer ses services et les possibilités éditoriales d’autres partenaires sont limitées. Le premier réflexe des journaux français consiste à transposer le journal imprimé sur l’écran ce qui s’avèrera rapidement être un échec : les flashs actualisés ne trouvent que peu d’amateurs, la recherche d’archives touche un public spécialisé ou de professionnels, les petites annonces ne connaissent pas le développement tant attendu. L’effort des journaux s’oriente dès lors vers des applications non informatives comme les jeux et les messageries. En effet, les investissements nécessaires sont légers et les profits très importants. La question de la tarification est complexe : certains services sont gratuits, d’autres impliquent un abonnement au serveur. Par ailleurs, plusieurs modes de tarifications sont appliqués : le 11 pour l’annuaire électronique dont les trois premières minutes de consultation sont gratuites ; le 36-13 lorsque c’est le fournisseur du service qui est facturé (le demandeur ne paie qu’un appel téléphonique) ; le 36-14 pour que la consultation soit à la charge du demandeur (environ une taxe de base toutes les deux minutes).

Grâce à une distribution massive et gratuite du terminal, le Minitel, désormais bien implanté, touche un large public. Imaginé en 1983, le système de tarification « kiosque » est mis en place en 1984. Réservé initialement aux entreprises de presse (ce qui explique le nom de kiosque), ce mode de tarification présente l’avantage d’une grande simplicité et d’une rémunération motivante pour les fournisseurs de contenus57. Dès sa mise en service, le système kiosque attire de nombreux prestataires qui s’improvisent entreprises de presse pour pouvoir en bénéficier. De fait, cette tarification sera progressivement accessible à la plupart des fournisseurs de contenus. L’apparition de nouveaux éditeurs, de nouveaux offreurs de services vient déstabiliser les journaux dans leur position de leader58. Pour le public, il est désormais possible de comparer les offres de contenu et il devient évident pour les journaux qu’il est nécessaire d’acquérir de nouvelles compétences pour optimiser les services offerts sur le réseau.

Parallèlement, le développement des jeux semble marquer une pause et les critiques relatives à la dérive ’immorale’ du support télématique (au sujet des messageries ’roses’ notamment) prennent de l’ampleur.

Au bilan de cette période, pour les journaux impliqués dans l’aventure du Minitel, il faut considérer l’arrivée importante de nouveaux entrants, la baisse des profits, les critiques... Il faut ajouter quelques douloureuses déconvenues en matière de diversification lors de l’ouverture des ondes au secteur privé. Alors que les discours de convergence envahissent la scène politique, la presse se met à douter, d’autant plus que la télématique a rarement été développée en tant que média et métier spécifiques.

Notes
57.

Les services bénéficiant de la tarification « kiosque » sont accessible par le 36-15. L’utilisateur est débité d’une taxe toute les 45 secondes. L’opérateur de télécommunications perçoit la totalité du prix de la consultation, en reverse 70% au serveur appelé et garde le reste.

58.

Jean-Marie CHARON indique qu’en 1985, 35 journaux participaient au réseau Télétel, ce qui représentait 22 équipes constituées de 160 professionnels au total. CHARON Jean-Marie, La presse en France de 1945 à nos jours, Ed. du Seuil, coll. Points, Paris, 1991, p. 302.