b) La forme nécessaire et signifiante

Si le sens est toujours déjà là, présent dans la communication, il apparaît nécessairement au travers d’une matérialité, d’une forme (geste, langage oral, écriture, image télévisée, etc.). Comme le remarque Emmanuël Souchier92, le plus souvent, la forme se fait discrète. Généralement perçue comme anodine, sans grand intérêt, nous prétendons au contraire qu’elle participe à l’élaboration du sens. En réalité son effacement n’a d’autre but que de servir le contenu le plus efficacement possible et pour cela elle se normalise. Pour illustrer ces propos, prenons l’exemple de l’information de presse imprimée. Les marques visuelles qui accompagnent l’information et la font exister, sont mises en oeuvre par les acteurs de l’édition ; ceux-là dont le métier consiste à transformer le travail d’un auteur, en l’occurrence le journaliste, pour le mettre en forme dans le but de le proposer au public.

Mais que signifie « mettre en forme » ? Simplement faire naître une forme qui se donne à voir, tracer les contours de ce qui auparavant n’était qu’informe et permettre par exemple, l’accès à un contenu organisé et donc signifiant. Précisons que l’usage de la notion de forme correspond à une abstraction conceptuelle, un « raccourci » de principe, un terme générique qui nous permet de penser le cas général sans pour autant nier la diversité. Par forme, nous entendons tous les éléments visuels structurants ; pas uniquement les illustrations ou les couleurs, mais aussi le format, la typographie et ses différents attributs, le rubricage ou l’arborescence qui, en articulant les contenus, contribuent à donner forme au journal par-delà les variations liées au renouvellement quotidien des informations93. Mettre en forme implique donc un travail d’élaboration qui, non content de permettre l’accès au contenu du journal atteste aussi de choix, d’arbitrages qui permettent notamment de distinguer les différents titres de presse dans leur manière de se présenter et de représenter le monde. Il a déjà été démontré comment l’emplacement réservé à une information dans la page, la taille des titres, les illustrations que l’on peut y associer, la co-présence de certains articles etc. peuvent être compris à partir d’une analyse de l’histoire des pratiques, des évolutions d’une culture professionnelle ou bien encore, en tant qu’éléments significatifs de la politique éditoriale d’un journal94. Cherchant à démontrer l’importance de la forme dans la production du sens dans le cadre du journal imprimé, Jean-François Tétu note que lorsque l’on prélève un article on perd en signification, l’emplacement, les effets de contexte contribuant à faire sens95. Si les formes s’inscrivent dans une histoire des pratiques, elles témoignent aussi d’une intentionnalité.

Notes
92.

Précisons que notre approche de la forme doit beaucoup au travail d’Emmanuël Souchier auquel il sera régulièrement fait référence. SOUCHIER Emmanuël, « L’image du texte. Pour une théorie de l’énonciation éditoriale » in Les Cahiers de médiologie, « Pourquoi des médiologues ? », n° 6, deuxième semestre 1998, p. 137-145

93.

Consciente de l’importance du travail d’Anne-Marie Christin sur les origines icôniques de l’écriture, notre travail ne prendra cependant pas en considérations ces questions, qui nous entraineraient trop loin du coeur de notre sujet, soit des significations que recouvrent les formes prises par la presse en ligne. CHRISTIN Anne-Marie, L’image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995, 247 p.

94.

Voir notamment MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, Le journal quotidien, Presses Universitaires de Lyon, 1989 (surtout p. 55-128)

95.

TÉTU Jean-François, Le discours du journal. Contribution à l’étude des formes de la presse quotidienne, Thèse de Doctorat d’État de l’université Lyon 2, 1982, p. 31