2. Les réponses de la loi et des juristes

Pour certains analystes, l’examen des droits d’auteur des journalistes à l’heure de la société de l’information implique une redéfinition légale du journaliste. En effet, face au développement des conditions nouvelles de diffusion et en l’absence de textes officiels de référence, la Commission de la carte d’identité professionnelle des journalistes se voit dans l’obligation de trancher. Pour elle, le journalisme demeure « une profession intellectuelle salariée » dont le travail doit être :

‘« effectué au sein d’une entreprise ou entité juridique ayant pour mission principale l’information du public (à l’exclusion des services de communication des entreprises et institutions relevant d’autres secteurs d’activités). »163

La notion « d’entreprise ou entité juridique ayant pour mission principale l’information du public » dont beaucoup dénoncent le caractère flou ne sera pas discutée ici ; les journalistes auxquels nous nous intéressons dans le cadre de cette recherche ne sont pas concernés par l’aspect parfois qualifié de restrictif de cette formule puisque directement liés à une entreprise de presse. De plus, nous faisons le choix de nous concentrer plus particulièrement sur les nouveaux problèmes liés au développement des éditions en ligne. Certes, comme l’affirme Emmanuel Derieux :

‘« la question du droit d’auteur des journalistes n’est pas nouvelle. Elle n’a jamais été clairement résolue par une jurisprudence hésitante et contradictoire. »164

Cependant, de nombreux textes traitent déjà de ces questions (auxquels nous renvoyons tout lecteur intéressé165.) Leur examen risquerait de nous éloigner trop durablement de notre sujet. Rappelons simplement les principaux points d’achoppement entre éditeurs et journalistes :

Or comme le rappelle le jugement du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg dans l’affaire opposant la société SDV Plurimédia et les journalistes des DNA :

‘« Le journal est une oeuvre collective dans laquelle se fondent les contributions individuelles des divers journalistes ; cependant le journaliste limite la cession de son droit à une première publication (art. L.761-9 du Code du travail, L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle, 7 de la Convention collective des journalistes). »166

Se trouve inscrite dans cette phrase la principale difficulté, née avec la diversification des entreprises de presse et la diffusion électronique des contenus. En effet, pour la plupart des éditeurs, la diffusion sur Internet n’est que le prolongement de l’édition imprimée. Par conséquent, les autorisations consenties pour la publication du journal imprimé devraient valoir pour l’édition en ligne ! Les journalistes soutiennent au contraire que le journal électronique est d’une autre nature et correspond à une nouvelle reproduction de l’oeuvre. La Cour d’appel de Lyon semble donner raison aux journalistes puisqu’elle retient que :

‘« Le droit de reproduction cédé à la société Groupe Progrès éditrice est épuisé dès la première publication sous la forme convenue en l’espèce le premier support papier et que toute nouvelle reproduction sur un support de même nature ou un support différent implique un accord préalable des parties contractantes. »167

Elle précise plus loin :

‘« que l’édition télématique et l’archivage sur serveur ne peuvent être considérés comme un prolongement de la diffusion sur support papier alors que, notamment, la mise en forme topographique et la présentation d’un article dans une publication correspondant à un courant d’idées voulues par son auteur lors de la conclusion du contrat disparaît, que le lectorat est élargi, et que la durée de diffusion est différente. »168

Alors que les derniers jugements paraissent entendre les arguments des journalistes, d’autres voix prêchent aussi en ce sens. Ainsi pour Pierre Trudel, professeur à la faculté de droit de Montréal :

‘« Les articles des journalistes salariés et pigistes constituent la principale source des sites d’information sur le Web. La bonne gestion d’un site à contenu informatif impose donc la prise en compte méthodique des droits d’auteur liés aux contenus diffusés. »169

Pourtant, la question semble loin d’être réglée. Certains juristes, plus proches des éditeurs et en désaccord avec le jugement rendu par la Cour d’appel de Lyon précédemment évoqué, rappellent qu’à une époque récente :

‘« La première chambre civile de la Cour de cassation a décidé par deux fois [...] que les droits d’exploitation de l’entreprise d’information, en dépit du caractère forfaitaire de la rémunération salariale versée à son employé, ne sont pas nécessairement limités à une première publication, et ne prennent pas fin avec les relations contractuelles. Il ne faudrait pas aujourd’hui, sous le prétexte de modifications technologiques, remettre en cause cet équilibre législatif et jurisprudentiel en vidant de leur sens et de leur portée ces dispositions légales dérogatoires. »170

Ce bref tour d’horizon autour des questions de droits d’auteur des journalistes laisse apparaître un vaste chantier de travail entre conflit et discussion, où tout ce qui semblait acquis pourrait être remis en question à tout moment. Si l’on voulait avoir un aperçu plus international de la situation, il faudrait ajouter aux débats contradictoires de la justice française, une analyse comparative de tous les dispositifs législatifs nationaux. Avouons humblement que cette perspective dépasse sans conteste nos domaines de compétence mais parions cependant que le tableau serait d’une rare complexité. Parions aussi que ces questions reviendront fort régulièrement sur le devant de la scène médiatique.

Notes
163.

Légipresse, novembre 1998, op. cit

164.

ibid.

165.

Citons pêle-mêle : par l’Association des avocats du droit d’auteur, « Journalisme et droit d’auteur », Petites Affiches, 16 octobre 1995 ; par la Fédération européenne des journalistes, Journalisme et droits d’auteur, décembre 1996 ; DEPREZ P., « L’auteur salarié dans l’entreprise d’information », La création salariée. Propriété intellectuelle et droit du travail, INPI, 1989; GAUTIER P.-Y., « Droits d’auteur des journalistes », Légipresse, n° 145; DERIEUX E., « Définition de la profession de journaliste », Droit des médias, Dalloz, Paris, 1995, 155 p.

166.

Texte reproduit par le SNJ sur son site : http://www.snj.fr (dernière consultation septembre 2001)

167.

Légipresse, janvier / février 2000, « Droit d’auteur des journalistes et diffusion sur Internet », n°168-III, p.7-12

168.

ibid

169.

Propos introductifs à un court exposé sur les droits d’auteur sur Internet dans la revue Internet@medias.journalisme, mai 1999. http://www.cem.ulaval.ca/Internetamedia/1er%20mai.html (dernière consultation novembre 2000)

170.

Commentaires de Nicolas Brault, avocat à la Cour, sur le jugement de la Cour d’appel de Lyon le 9 déc. 1999, Légipresse, janvier / février 2000, op. cit.