4. Journalistes, éditeurs, hébergeurs : droits et devoirs

Pour les éditeurs signataires de la Charte précédemment évoquée, « l’édition en ligne obéit aux mêmes règles que l’édition traditionnelle »177. Par conséquent, est répréhensible tout propos incitant à la haine raciale, faisant l’apologie des crimes contre l’humanité, les appels au meurtre, la diffamation, etc. Mais qui est responsable ? L’auteur du texte, l’éditeur du site ou encore l’hébergeur ? Dans le cadre de sites de presse, on ne voit pas pourquoi la question de la responsabilité devrait changer par rapport à ce qui se pratique avec les éditions papier. Le problème se pose avec plus d’acuité lorsqu’en l’absence d’éditeur reconnu, on peut éventuellement considérer l’hébergeur comme un éditeur au sens large ou en tout cas comme responsable des contenus qu’il héberge... La question demeure en suspens, en attente de jugements qui feront jurisprudence.

Le manque de repère juridique stable génère une situation qui affecte certains journaux. En effet, l’hébergeur subit d’importantes pressions, mis en position de juge du contenu des sites qu’il héberge, sommé de jouer les chiens de garde, nouveau « gate keeper » de l’information. Sans blâmer les associations de défense des droits de l’homme qui luttent contre la diffusion d’idées répréhensibles sur le Web, il faut cependant constater que les actions en justice menées contre les hébergeurs créent des phénomènes pervers de censure et d’autocensure. En effet, certains sites dont le contenu pourrait déranger (notamment des revues homosexuelles), se sont vus dans l’impossibilité de trouver un hébergeur, ces derniers étant trop soucieux de se préserver de tout démêlé avec la justice. Autre sujet sensible pour les journaux, l’idée selon laquelle :

‘« la publication [sur le Web] résulte de la volonté renouvelée de l’émetteur qui place le message sur un site et choisit de l’y maintenir ou de l’en retirer comme bon lui semble. En conséquence, l’acte de publication devient ainsi continu. »178

Dès lors, tous les articles contenus dans les archives des sites seraient susceptibles d’être attaqués en justice. Derrière ces questions d’ordre juridique se profilent d’autres questions quant à la nature des données proposées en consultation sur les sites et se pose notamment le problème fondamental de leur décontextualisation. Des questions essentielles sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir plus longuement.

Il est donc grand temps que les tribunaux déterminent qui du journaliste/auteur, de l’éditeur ou de l’hébergeur est responsable des informations publiées sur le Web et dans quelle mesure.

Pour conclure ce rappel juridique, l’essentiel en quelques mots.

À travers les questions posées par les journalistes à la justice se lisent leurs difficultés et leurs craintes face au développement de la diffusion électronique des informations.

En premier lieu, la négation par les éditeurs de l’originalité, de la singularité de l’Internet cantonne trop souvent les journalistes dans le rôle d’un secrétariat de rédaction, se contentant de re-modeler une information déjà exploitée par ailleurs, travail pour lequel ils ne peuvent prétendre ni à forte rémunération, ni à droits d’auteurs, ni à une quelconque considération sociale.

Une seule certitude : les journalistes (au moins les anciens) se battent avec détermination pour faire valoir leurs droits et donc leur statut d’auteur à part entière. Ils semblent pour l’heure avoir été entendus par les tribunaux. Il demeure que malgré les affirmations lues ici ou là concernant l’application simple des mêmes règles que celles qui prévalent au niveau des éditions imprimées, journalistes et experts remarquent les hésitations de la justice et la succession de jugements contradictoires.

Incertitude, remise en question des acquis semblent prévaloir, ce qui ne manque pas d’inquiéter une profession qui se sent fragilisée, qui se pense en difficulté du fait du développement des « nouveaux médias ».

Notes
177.

cf. Charte d’édition électronique reproduite en annexe 3, op. cit.

178.

Extrait du jugement de la Cour d’appel de Paris le 15 déc. 1999, rapportés par Le Monde, le 21 avril 2000, « L’application du droit de la presse à Internet est mise en cause » par Nicole Vulser.