b) L’interactivité : concept central des technologies informatiques

1. Un concept vague pour des promesses majeures

On attribue généralement à l’interactivité le fait de permettre « au récepteur » non seulement de réagir et de devenir source à son tour, d’entrer en contact mais aussi de chercher, de sélectionner l’information, de naviguer et choisir un itinéraire particulier...

On voit bien ici à quel point la notion d’interactivité est large, polysémique... Dans un long article Keith Kenney, Alexander Gorelik, Sam Mwangi proposent de s’appuyer sur des travaux antérieurs pour définir l’interactivité : ceux de Carrie Heeter en 1989 qui distingue six dimensions essentielles208 ou ceux de L. Ha et E. L. James en 1998 définissant l’interactivité en cinq points209... L’article fournit par ailleurs une abondante bibliographie sur le sujet. Cependant il nous semble difficile d’évaluer la pertinence de ces définitions et réflexions théoriques, les auteurs nous étant généralement inconnus, tout comme leur appartenance à tel ou tel courant de recherche. Il ne faut pas non plus négliger certaines hésitations quant à la signification précise, aux nuances contenues dans ces textes dont il est fort probable qu’ils ne seront jamais traduits... Nous avons donc choisi de mentionner simplement leur existence qui témoigne d’une intense activité de recherche sur le sujet, préférant toutefois travailler sur des textes accessibles en français.

En France, le concept d’interactivité a été particulièrement mobilisé par les sciences cognitives et les sciences de l’éducation autour des questions relatives au renouvellement possible des modes d’apprentissage, d’acquisition et d’appropriation des savoirs210. Diverses hypothèses sont confrontées à la réalité des comportements des utilisateurs, comportements observés, puis analysés pour être ensuite évalués. Derrière ces études de cas se trouve l’inévitable thématique du « dialogue homme-machine ». Pour intéressantes qu’elles soient, ces expériences ne nous renseignent pas de façon satisfaisante sur l’interactivité développée par la presse en ligne. Des passerelles existent probablement mais trop de différences fondamentales rendent difficile leur établissement. Peut-on assimiler la consultation d’un site d’information sur le Web à une démarche d’apprentissage ? Comme le montre fort bien Françoise Séguy, n’existe-t-il pas des différences essentielles entre le CD-Rom et le Web qui nous interdisent tout amalgame entre leurs modes de navigation respectifs ?211

Produire une définition de l’interactivité est un exercice difficile comme en témoigne le caractère vague et peu « défini » ( !) de celle que propose le Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, reconnaissant la fluidité ou l’instabilité du concept.

‘« Le champ recouvert aujourd’hui par l’interactivité apparaît aujourd’hui si vaste qu’il se décompose en plusieurs domaines qui se recoupent parfois car l’univers des produits, des logiciels et des applications interactives est à la fois complexe et en constante évolution.»212

En accord avec Françoise Seguy nous constatons que « l’interactivité ne peut se satisfaire d’une seule et unique définition. En effet, elle se développe et se vérifie dans des produits et des outils paraissant très différents. »213 Par conséquent, plutôt que de chercher une définition générale de l’interactivité, nécessairement vague et insatisfaisante, nous nous contenterons d’en dessiner les contours dans la presse en ligne et d’en évaluer la mise en oeuvre et le mode de fonctionnement dans le cas des sites Web que nous avons choisi d’étudier. Toutefois, avant de travailler sur notre objet, il faut reconnaître que les multiples discours sur cette dimension aux contours imprécis crée un environnement discursif, un « milieu » à prendre en considération. Le contexte idéologique construit par les textes autour du « dialogue homme-machine », des logiciels que l’on nomme avec beaucoup de complaisance des « agents intelligents », et plus généralement autour de cet environnement informatisé et automatisé devenu « intelligence artificielle », autorisent et entretiennent la production de commentaires prophétiques sur le changement de paradigme des médias d’information quittant le mode de communication « one to many » pour créer la communication « one to one » sans intermédiaire, sans filtre, sans « gate-keepers »... « L’échange interactif institue la communication de masse personnalisée au niveau mondial » affirme Jean-Marie Colombani214, à mi-chemin entre le traditionnel « one to many » et le « one to one » annoncé...

Notes
208.

HEETER Carrie, « Implications of new interactive technologies for conceptualizing communication » in SALVAGGIO J.L., BRYANT J. editors, Media use in the information age, Hillsdale, 1989, p. 217-235. Les dimensions essentielles de l’interactivité, identifiées par cet auteur sont les suivantes : « la complexité des choix disponibles (complexity of choice available), l’effort à fournir par l’utilisateur (effort users must exert), les réponses à l’intervention des utilisateurs (responsiveness to the user), l’incitation à la communication interpersonnelle (facilitation of interpersonal communication), la facilité pour les utilisateurs à ajouter de l’information (ease of adding information), l’utilisation d’un système de contrôle des communications (monitor system use) ». Ces points, on le voit ne semblent pas tous se situer au même niveau. Certains paraissent seulement contribuer à décrire des situations particulières et ne constituent pas des éléments essentiels de la définition qui par nature se doit de dépasser les contingences de telle ou telle situation.

209.

HA L., JAMES E. L., « Interactivity reexamined: A baseline analysis for arly business Web sites », in Journal of broadcasting & electronic media, 1998, volume 42, number 4, p. 457-474. Dans ce travail, l’interactivité est avérée si les sites présentent : « aspect ludique (playfulness), choix (choice), connectivité (connectedness), collecte d’information (information collection) et communication réciproque (reciprocal communication). »

210.

EL BOUSSARGHINI Rachid, PIERRE-DEMARCY Corinne, TRICOT André, « Un panorama des recherches sur l’activité mentale de l’utilisateur d’un hypermédia », in Sciences et techniques éducatives, Vol. 5, n° 4, 1998, p. 371-400.

211.

SEGUY Françoise, « Produits culturels sur CD-Rom recherchent utilisateurs pour première rencontre et plus si affinités. Internautes bienvenus », communication au colloque « Penser les usages », Arcachon 1997, http://www.cnet.fr/ust/Seguy.html (dernière consultation octobre 2000).

212.

Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, sous la direction de LAMIZET Bernard, SILEM Ahmed, op. cit., p. 312

213.

SEGUY Françoise, « Les écritures interactives », article inédit mis en ligne sur le site du GRESEC le 22 février 2000, http://www.u-grenoble3/les_enjeux/n1/Seguy/Ecritures-interactives.html (dernière consultation juin 2000)

214.

COLOMBANI Jean-Marie, « Internet, une chance pour la presse écrite », op. cit., p. 85