b) Les hésitations paradoxales des sociétés éditrices de presse en matière de stratégie économique

Régulièrement, des ouvrages proposent de faire le point sur la situation de la presse en ligne. Bien entendu, ceux qui ont accompagné les premières années de la presse française sur le Web paraissent un peu datés aujourd’hui et ne semblent plus pouvoir nous donner d’informations qui n’aient été largement diffusées par ailleurs. La rapidité des évolutions constitue nécessairement un des facteurs importants de l’obsolescence rapide des réflexions sur ce sujet. Bien entendu, parce que nous suivons ces questions depuis plusieurs années déjà, nombre de débats nous semblent terriblement stériles, puisqu’ils n’ont toujours pas trouvé de réponses à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Parmi ces travaux de synthèse citons par exemple le travail de Serge Guérin, La Cyberpresse ²⁸³ paru en 1996 et l’étude réalisée par Isabelle Roland, paru dans la revue du CNRS Le Micro Bulletin, au début de l’année 1997²⁸⁴. Les questions d’ordre général ont été maintes fois reprises (parfois invalidées) mais les documents demeurent intéressants pour les informations qu’ils fournissent sur la préhistoire de cette « cyberpresse », les stratégies développées par certains grands quotidiens nord-américains et ce qu’Isabelle Petit nomme les « initiatives françaises », encore balbutiantes puisque les données datent de 1995 et 1996. Par-delà l’ennui que peut générer le fait de lire et relire aujourd’hui les mêmes interrogations qui restent sans réponses plusieurs années après, leur récurrence constitue de façon paradoxale leur intérêt. Ainsi on y trouve déjà des propos concernant la nécessité probable d’alliances, la difficulté à présenter des contenus à valeur ajoutée, les incertitudes relatives à la complémentarité des éditions papier et en ligne... À la même époque, le rapport rédigé par Jean-Charles Bourdier, directeur de la rédaction du Républicain Lorrain compare lui aussi les approches américaines et française en matière de multimédia et de presse en ligne²⁸⁵. La différence essentielle avec les textes auxquels nous avons précédemment fait référence se situe au niveau de la situation professionnelle de l’auteur. Dans ce dernier cas, l’auteur est partie prenante des phénomènes qu’il présente, impliqué dans les situations qu’il décrit, défendant de fait la position de la presse imprimée vis-à-vis d’éventuels concurrents, plaidant pour que l’État soutienne et encourage les initiatives des éditeurs qui souhaiteraient diversifier leur activité et investir les nouveaux réseaux de diffusion de l’information... Plusieurs pages sont ainsi consacrées à des recommandations faites aux pouvoirs publics parmi lesquelles on remarque des mesures d’aides fiscales sous forme d’allègements du taux de TVA, la participation au financement de ce que Jean-Charles Bourdier appelle une architecture globale c’est-à-dire un ensemble cohérent et interconnecté d’infrastructures performantes pour favoriser la qualité des connexions, rejoignant en cela un interventionnisme étatique prôné par Gérard Théry²⁸⁶ quelques années auparavant... L’auteur insiste par ailleurs sur la nécessité d’utiliser la notoriété du titre de presse comme un label qualité, de garder la maîtrise et la propriété des contenus diffusés, sur la valorisation des savoir-faire et la formation des personnels de l’édition papier, l’exploitation des connaissances par les entreprises de la presse imprimée concernant leur lectorat et leur marché... (Nous ne reviendrons pas ici sur les questions relatives aux avantages ou aux inconvénients que représentent les héritages en matière de culture professionnelle pour développer une offre nouvelle. Ces aspects ont été précédemment évoqués dans le cadre de l’étude du contexte socio-professionnel).

Le dernier document de synthèse sur les questions de la presse en ligne est, à notre connaissance, le texte qui a d’abord vu le jour sur le Web pour ensuite faire l’objet d’une parution dans la collection « Que sais-je ? », dont l’auteur est Charles de Laubier, journaliste aux Echos, et le titre La presse on-line en Europe ²⁸⁷ . L’auteur balaye de façon large les problèmes désormais classiques de la presse en ligne. Certes des titres de chapitre comme celui qui concerne la publicité « source de financement ou dépendance » sont prometteurs (quoique pas réellement novateurs), mais hormis quelques données chiffrées nécessairement plus récentes que dans les textes des deux rapports précédents, point d’avancée décisive dans la réflexion qui, par ailleurs, semble refléter l’état de celle des acteurs..

Que dire donc des stratégies de la presse en ligne pour tenter de parvenir sinon à une rentabilité au moins à un équilibre financier dans un proche avenir ?

Nous faisons le choix d’utiliser notre attention à ces questions depuis leurs premières formulations (au moins en ce qui concerne la France), pour distinguer ce qui paraît constituer les deux phases de la réflexion stratégique des journaux. Notre réflexion sera nécessairement succincte puisque ces questions demeurent à la périphérie de notre recherche. Dans un premier temps, nous reprendrons les discours développés durant les premières années de la presse en ligne (jusqu’en 1999) construit sur des attentes et diverses réflexions prospectives, puis nous nous efforcerons de faire le point des discours de la période récente (2000-2001) plus pragmatiques avec un arrière goût de désenchantement...