PARTIE 2 : Le dispositif, cadre et règles du jeu

Rappelons un des principes fondamentaux, déjà présenté dans l’introduction de ce travail. Nous avons affirmé qu’une offre médiatique doit être envisagée comme un espace d’expression entre liberté et contrainte, ni pure intentionnalité, ni soumission totale à des impératifs sociaux ou techniques. Les formes de la presse en ligne sont donc à étudier comme les traces de compromis négociés. Pour en comprendre les termes, il nous a semblé nécessaire de reprendre la question du dispositif technique à partir duquel se développe la presse en ligne. Nous laissons le soin aux nombreux spécialistes de l’informatique et des réseaux de présenter en détail les différents éléments constitutifs de cette informatique télécommunicante et leur interdépendance pour le bon fonctionnement de l’ensemble. Nous préférons nous situer d’emblée dans une perspective communicationnelle et considérer comment la technique produit indéniablement des effets sur le sens. Certains en minimisent l’importance comme l’ancien responsable du site Webdo 336 , Bruno Giussani, qui affirme que l’essentiel pour un journaliste consiste à informer ; le support, papier ou réseau ne changeant rien de fondamental...

‘« Il ne faut surtout pas oublier que ce sont les mots et les images qui portent le sens de ce qui est communiqué, non pas le papier ni le plastique. En fait, si la vocation première d’un journal, d’un rapport ou d’un livre est de distribuer de l’information, le papier n’est pas absolument indispensable.337 »’

Or, la conviction qui nous anime est que le medium coproduit le message. « Les médias ne se contentent pas d’acheminer, ils sont bourrés d’instructions et de hiérarchies, (de jugements de valeurs) incorporés » pour reprendre les mots de Daniel Bougnoux338. En d’autres termes, Bruno Latour affirme lui aussi son refus des dichotomies simplistes qui distinguent l’être humain des outils, la morale de la technique et la fin des moyens339...

L’étude du dispositif technique, envisagé comme médiation (construit par l’homme qu’il contribue à façonner en retour) complète et enrichit l’approche sémiologique de l’agencement des signes à la surface de l’offre. Ainsi, avant d’étudier le dispositif signifiant de la mise en « page/écran », nous nous intéresserons à quelques-uns des éléments essentiels de l’environnement technique de la presse en ligne, gardant à l’esprit notre intérêt premier pour leur rôle en tant que formant de l’offre et modélisateur de la relation à cette dernière. Ce travail contribue, d’une certaine manière à dessiner une « pré-vision » de l’internaute qui consulte la presse en ligne, l’ébauche d’un destinataire imaginaire de l’offre340. Ce projet est bien entendu une référence explicite au « lecteur modèle » d’Umberto Eco341. Il s’agit ainsi de nous attaquer à un des projets essentiels de cette recherche qui consiste à décoder le contrat de communication qui s’élabore sous nos yeux autour de la presse en ligne. Le dispositif technique en est un des acteurs fondamentaux : en tant que formant de l’offre mais aussi dans la façon d’installer les acteurs de la communication dans des postures nouvelles, dans sa manière d’attribuer des « places », de distribuer des « rôles »342. Pour définir ces notions de places et de rapport de places, Claude Jamet et Anne-Marie Jannet citent un texte qui nous semble particulièrement intéressant de François Flahaut et que nous reproduisons à nouveau :

‘« Chacun accède à son identité à l’intérieur et à partir d’un ensemble de places qui le dépasse ; ce concept implique qu’il n’est pas de parole qui ne soit émise d’une place et convoque l’interlocuteur à une place corrélative. »343

Dans le cadre de cette étude sémiologique du dispositif, nous aborderons respectivement les points suivants :

puis dans un deuxième temps, nous traiterons des deux pôles constitués par la conception et par la consultation.

Notes
336.

Journal en ligne, véritable référence dès le milieu des années 90, émanation de l’hebdomadaire suisse l’Hebdo. http://www.webdo.ch

337.

Propos tenus le 19 avril 1996, lors d’une conférence intitulée « Vers la société interactive ». Le texte intégral peut être consulté sur Internet à l’adresse :

http://www.giussani.com/essays/ess960419.html (dernière consultation le 9 juillet 2001)

338.

BOUGNOUX Daniel, Sciences de l’Information et de la Communication, op.cit., p. 532

339.

LATOUR Bruno, « La fin des moyens », in Réseaux, n°100, Hermès Science Publications, 2000, p. 41-58

340.

Rappelons à cette occasion que nous n’envisageons pas d’étude empirique sur les usages de la presse en ligne. Il en existe quelques-unes auxquelles nous avons eu accès, notamment aux Etats-Unis (Pew Center) et en France, notamment la Thèse de Doctorat de l’université Paris IV –Sorbonne de Valérie JEANNE PERRIER, La presse et l’Internet, approche interdisciplinaire de la relation lecteur-journal, nov. 2000, 464 p.

341.

ECO Umberto, Lector in fabula ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Grasset, Paris, 1985, 315 p.

342.

Voir les précieuses pages de repères et les définitions de ces termes qu’elles contiennent dans l’ouvrage de JAMET Claude, JANNET Anne-Marie, La mise en scène de l’information, L’Harmattan, Paris, 1999, p. 19-20.

343.

FLAHAUT François, La parole intermédiaire, Le Seuil, Paris, 1978, p. 58 cité par JAMET Claude, JANNET Anne-Marie, La mise en scène de l’information, op. cit.