c) L’unité centrale : le moteur du dispositif

S’agissant de l’unité centrale, notons tout d’abord que le coeur de ce dispositif technique se présente sous la forme d’un volume généralement rectangulaire, parfaitement banal visuellement malgré les récents efforts de la société Apple pour apporter couleurs vives et transparences360... Rien en apparence ne peut permettre d’imaginer que dans la triste boîte beige ou grise se cache un fabuleux outil de calcul et de stockage de données. Certes, l’aspect extraordinairement trivial de l’objet résulte en partie des progrès en matière de miniaturisation associés au fabuleux développement des usages qui installe un ordinateur sur chaque bureau, dans de nombreux foyers, etc... Cette apparente neutralité contribue fort probablement à renforcer la mythologie de l’ordinateur : un boîtier magique dont le fonctionnement demeure pour le plus grand nombre des plus mystérieux. Si de façon plus rationnelle, on cherche la définition dans un dictionnaire spécialisé dans la terminologie informatique on découvre la définition suivante, loin de tout ésotérisme :

‘« Machine électronique programmable de traitement de l’information numérique. [...] Un ordinateur est constitué d’une unité centrale de traitement, qui exécute automatiquement le programme, instruction après instruction, et d’une mémoire centrale directement accessible par l’unité centrale contenant le programme (ou la partie du programme en cours de traitement) et ses données. »361

Compte-tenu des perspectives de cette recherche, il ne semble pas véritablement intéressant de s’attarder sur des aspects trop techniques. L’analyse des propriétés des ordinateurs et de leurs effets sur diverses productions culturelles (dont la presse en ligne constitue un bel exemple), serait probablement fort instructive à condition de mener ce travail en collaboration avec des informaticiens. Nous préférons nous en tenir à notre posture de chercheur en communication et retenir de cette définition l’usage des termes d’ “exécution automatique”, de “programme” qui inscrivent l’ordinateur dans un construit technologique. Notons aussi la parenté de l’ordinateur avec les mots ordre et ordonner. Tous ces termes expriment une rationalité, un outil au service de et non une fin en soi, un “agent intelligent” dont on se plaît à imaginer qu’il serait plus performant que son créateur362... On utilise généralement le terme d’interactivité pour qualifier cette communication homme-machine spécifique à l’informatique. Le dictionnaire de l’informatique en donne la définition suivante :

‘ « Néologisme utilisé pour désigner le degré d’interaction entre l’utilisateur et le système informatique lors d’un traitement en mode conversationnel. »363

Mais que signifie réellement le “traitement en mode conversationnel” lorsque l’on se trouve face à une machine ?... Il est vrai que l’on parle volontiers de “dialogue homme-machine”, d’intelligence artificielle, d’agents intelligents et que l’on est souvent tenté d’humaniser la machine, de personnaliser le rapport que l’on entretient avec elle. Tantôt adversaire quand la technique semble offrir des résistances, tantôt collaboratrice ou amie que l’on encourage, que l’on flatte, que l’on remercie pour la qualité des services rendus... On prête donc de l’intelligence à la machine, parfois même des sentiments humains, on agit en imaginant que la machine, réciproquement fait de même, de la même manière...

Or la machine est d’abord et avant tout un moteur, un calculateur, et un espace de stockage. Mais une fois encore ne parle-t-on pas de mémoire? Peut-on réellement comparer cette qualité humaine, si précieuse, fragile et complexe à la fois avec ce qui n’est qu’enregistrement c’est à dire la conservation figée de données si l’on considère la fameuse “mémoire morte” ou la puissance de calcul et de gestion de données lorsque l’on parle cette fois de “mémoire vive”...

Il ne s’agit pas de nier ici l’importance que revêt le développement de l’informatique dans nos sociétés économiquement “développées”. Philippe Breton et Serge Proulx à partir d’une analyse historique du développement de l’informatique ont clairement montré comment celui-ci se trouve à l’origine de ce qu’ils nomment “le paradigme digital” qui englobe les matériels, les techniques mais aussi les enjeux économiques et politiques. Les auteurs en donnent la définition suivante :

‘« On désigne par là la réunion, dans un même ensemble homogène, de quatre dimensions : une technique de base, l’électronique, une méthodologie particulière de traitement automatique et logique des informations, un système de représentation du monde cohérent et universel, enfin un enjeu stratégique et économique.364 »’

Adoptant une perspective en apparence plus modeste, Pascal Robert préfère parler de l’informatique comme d’un moteur « au-delà de l’ordinateur qui n’est qu’une incarnation possible d’un mouvement qui le dépasse365 ». Plus précisément, il envisage l’informatique comme « un MOTeur d ’I nférence et de gestion de F ormes, un MOTIF donc »366, comme l’élément central de nos sociétés par le formatage généralisé qu’il opère. Ce dispositif qui donne notamment forme à nos productions culturelles auxquelles se rattache la presse en ligne est absolument dépendant des langages, des applications logicielles qui alimentent les machines. Le temps est venu de s’y intéresser.

Notes
360.

Les ordinateurs portables et les modèles compacts comme le iMac font disparaître l’unité centrale. La miniaturisation permet en effet de l’intégrer aux seuls éléments de ces configurations qui sont l’écran, le clavier et la souris (pour le iMac).

361.

MORVAN Pierre (sous la dir. de), Dictionnaire de l’informatique. Acteurs, concepts, réseaux, Paris, éd. Larousse, 2000, p. 170-172

362.

Voir le travail de Harry COLLINS, « Les capacités des ordinateurs et leurs limites » in Réseaux, n°100, op. cit., p. 19-37 dans lequel il présente ce que l’homme et la machine peuvent faire respectivement et leur mode de fonctionnement combiné. Pour l’auteur, il ne s’agit pas de raisonner en termes de supériorité mais bien de combinaison et de “rectification”. Daniel Bougnoux fait régulièrement référence dans ces ouvrages à ce qu’il nomme “le mythe de Frankenstein”.

363.

MORVAN Pierre (sous la dir.), Dictionnaire de l’informatique, Acteurs, concepts, réseaux, op. cit. p. 115

364.

BRETON Philippe, PROULX Serge, L’explosion de la communication, la naissance d’une nouvelle idéologie, éd. La Découverte/Boréal, 1989, p. 98

365.

ROBERT Pascal, « Le MOTIF : de l’informatique comme moteur d’inférence et de gestion de formes », in Solaris, n°7, déc. 2000/janv. 2001, p.2. À consulter sur Internet :

http://www.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d07/7robert.html

366.

ROBERT Pascal, ibid, p.3