2. De l’usage des logiciels pour la consultation des sites Web

Les logiciels de navigation sont les seuls nécessaires à la consultation de sites Web. Nous n’avons pas l’intention de faire une rétrospective sur l’apparition du Web et les différents logiciels qui permirent à l’Internet d’accéder à une dimension plus visuelle et plus populaire, cela a déjà été fait par de nombreux auteurs413. Nous nous intéressons à la situation actuelle dans le but d’évaluer, de façon approximative puisque nous ne nous appuyons pas sur une étude en termes d’usage, comment le logiciel, ses potentialités et sa manipulation peuvent influencer le rapport de l’internaute au document. Plus simplement, la question qui se pose est celle de savoir si le logiciel de navigation constitue un prisme, ou un filtre supplémentaire qui influe sur la forme de ce qui s’affiche à l’écran et sur la lecture (au sens large) qui en est faite.

Deux logiciels aux noms évocateurs dominent le marché. Netscape Communicator actuellement en perte de vitesse par rapport à son concurrent Internet Explorer développé par l’incontournable Microsoft. Les logiciels de navigation participent à l’élaboration d’une mythologie du réseau à partir de la métaphore du voyage et de l’exploration. Initialement, ils proposaient surtout l’accès aux sites développés pour le Web ; ils se sont étoffés au fil des versions, comme tous les logiciels d’application. Ils sont à paramétrer ce qui en d’autres termes correspond à une certaine forme de personnalisation ; ils autorisent l’accès aux secrets de construction des pages Web permettant même une manipulation et une appropriation des ingrédients de fabrication ; ils donnent les moyens d’une mémoire de consultation grâce à divers outils que nous évoquerons brièvement ; et enfin ils posent (imposent) leur griffe sur les documents, par certaines fonctions que nous préciserons.

Il ne s’agit pas d’évaluer les performances respectives de ces logiciels, c’est pourquoi nous choisissons de travailler à partir du logiciel Internet Explorer, à la fois en position dominante sur ce secteur et probablement le plus abouti. Les différences entre les navigateurs sont peut-être nombreuses mais ce qui importe, c’est avant tout la capacité du logiciel à afficher correctement les pages Web demandées. Or, les concepteurs de sites Web intègrent sans cesse de nouveaux scripts, des ordres écrits à partir de langages récents. Si les navigateurs ne peuvent reconnaître les langages employés, rien de ce qui avait été programmé ne s’affiche. Les internautes réclament donc que les versions de logiciels intègrent les dernières nouveautés. Pour compenser l’effet de léger différé entre les velléités d’innovation de certains concepteurs de sites et l’actualisation des navigateurs, il est généralement possible de télécharger un additif au logiciel ou extension appelée plug-in. Cependant, on sait les réticences que provoque ce type de proposition : l’insertion d’un élément nouveau ne risque-t-il pas de générer des problèmes difficiles à régler, ayant pour conséquence un dysfonctionnement de l’ensemble du dispositif : virus, incompatibilité logicielle, etc. ? Restons-en par conséquent, aux fonctionnalités permises parce qu’intégrées à l’offre logicielle d’origine (sans plug-in), à leur incidence sur les documents affichés à l’écran et sur la façon de les recevoir.

Nous avons énoncé plus haut le possible paramétrage du logiciel qui peut être considéré comme une forme de personnalisation. Le paramétrage se fait notamment à partir d’un fichier qui porte le nom flatteur de « préférences ». Sans entrer dans les détails, notons simplement que de nombreuses dimensions sont paramétrables : affichage de polices de caractères par défaut, modification de la couleur d’affichage des liens hypertextes, alerte sur l’envoi de cookies 414, affichage des bulles d’aide... Quant à l’accès à ce que nous avons appelé les secrets de fabrication, il correspond à l’affichage des codes sources. Nombres d’internautes utilisent cette fonction et récupèrent certaines recettes de conception. Le Web a inscrit dans ses fondements, la possibilité de copier, modifier, ré-exploiter les éléments qui circulent sur le réseau.

Les logiciels de navigation mettent quelques outils à disposition de l’internaute pour créer une mémoire de consultation. Il existe notamment la possibilité d’enregistrer les adresses de ses sites favoris (Netscape préfère le terme de signet hérité de la tradition du livre), de conserver des listes de liens dans l’espace « garde-page », de collectionner des parties ou la totalité d’une page dans « l’album » (rubriques qui elles aussi, font explicitement référence à l’univers de l’imprimé). On peut aussi enregistrer les pages Web consultées (avec ou sans les liens, les sons, les animations, les séquences vidéos) et même les pages qui leur sont attachées au moyen des liens hypertextes et archiver le tout dans son disque dur ou sur un support quelconque d’enregistrement. Les navigateurs ont désormais intégré les fonctionnalités de base des logiciels dits d’aspiration de sites avec lesquels nous avions eu tant de difficultés en 1997 et 1998... L’évolution rapide des technologies n’est pas un mythe !

La mémoire de consultation que nous venons d’évoquer est volontairement mise en oeuvre par l’internaute. Mais il existe d’autres fonctionnalités, indépendantes de la volonté de l’utilisateur et dont le but consiste à garder la trace des itinéraires parcourus, l’adresse des sites consultés. C’est notamment le cas du menu appelé « aller à » et qui propose le nom des dernières pages consultées. Quand ces pages sont nombreuses et plus anciennes, elle intègrent « l’historique ». Le fichier « cache » constitue un autre espace moins accessible de prime abord, qui garde un enregistrement des pages vues de façon a ne pas devoir les télécharger à nouveau alors que l’internaute souhaite les consulter plusieurs fois. Ces outils constituent à la fois une mémoire précieuse et un véritable piège puisqu’en s’inscrivant, ces traces peuvent servir au contrôle des usages qui sont faits de l’accès au Web. Cependant, il s’agit de traces éminemment visibles et en cela, peut-être moins pernicieuses que celles qui s’inscrivent dans la mémoire des serveurs et qui sont inaccessibles à la plupart des internautes...

En dernier lieu, il nous semble que le logiciel de navigation, loin de se contenter de naviguer comme nous l’avons vu, se permet d’apposer sa griffe sur les documents qu’il rend visibles. Cette griffe se manifeste certainement de nombreuses façons, nous nous contenterons de noter celles que nous avons remarquées durant notre recherche. Tout d’abord, le logiciel attribue automatiquement un nom au fichier qu’on lui demande d’enregistrer. L’autre marquage logiciel qu’il nous semble important de signaler se fait à la suite de la commande d’impression. Le logiciel imprimera automatiquement la date du jour, le nombre de pages imprimées (le document sur le Web n’étant constitué que d’une seule page plus ou moins longue), le nom du fichier mais surtout il modifiera le format du document pour que ce dernier s’adapte au format d’impression. Par défaut, l’impression supprimera aussi les fonds de pages. Cela ne correspond-il pas parfaitement à la définition de ce qu’il est convenu d’appeler un formatage ?...

Notes
413.

Citons notamment les travaux des fondateurs parmi lesquels HUITEMA Christian, Et Dieu créa l’Internet..., Eyrolles, Paris, 1995, 201 p. Voir aussi les textes disponibles sur Internet, nombreux sont ceux qui sont signés de Vinton CERF, http://www.isoc.org/internet/history/, Voir aussi,HAFNER Katie, LYON Matthew, Les sorciers du net : les origines de l’internet, Calmann-Lévy, 1999, 346 p., et de façon plus spécifique sur le Web, REID Robert, Architects of the Web, 1000 days that built the future of business, John Wiley & Sons, 1997, 370 p.

414.

Les cookies sont des données inscrites par un serveur dans un fichier de l’ordinateur de la personne qui se connecte. Les cookies donnent certaines informations qui permettent au serveur de ce configurer en fonction du “client” qui l’appelle. Il existe sur le site de la CNIL un dossier complet sur les traces que l’on laisse lors de nos connexions sur des sites Web. http://www.cnil.fr/traces/index.htm (dernière consultation le 10 juil. 2001)