a) L’élaboration de l’arborescence et la prise en charge des questions de navigation

Si la conception de tout document passe nécessairement par une phase d’élaboration (maquette et « chemin de fer » pour l’impression, scénario et story-board -ou scénarimage- pour les documents filmés...), les sites Web n’échappent pas à la règle. Une unique page Web n’a que peu de sens et ne concerne pas l’univers de la presse qui manipule d’importantes quantités d’informations quotidiennement. Travailler à la mise en forme d’un journal en ligne suppose d’organiser et d’articuler de nombreuses pages, d’envisager les parcours de lecture possible. Plus encore, il faut considérer une totalité que les internautes ne percevront jamais dans sa globalité.

Il est donc impératif de prévoir des repères pour la navigation. Ils peuvent prendre la forme d’un plan, quelque chose de visuel, à la manière d’une table d’orientation. Ce travail peut, semble-t-il, être fait au moment de la conception grâce à des logiciels spécifiques. Christian Vandendorpe mentionne notamment l’existence du logiciel Hyperbolic Tree 432 qui permet à l’internaute d’explorer l’arborescence dessinée à l’écran, d’afficher les titres de chacune des rubriques et de s’y rendre d’un simple clic de souris... Certes, mais l’exemple choisi (celui du Musée du Louvre) ne propose que quinze liens en page d’accueil alors que certains sites de presse de notre corpus en présentent plus de deux cent trente433....

La cartographie de sites se pratique aussi à partir d’un site déjà réalisé. Certains se sont fait une spécialité de ce type d’activité434. Si on en croit leur expérience en la matière, le travail de cartographie ne doit en aucun cas être envisagé sous l’angle d’une représentation exhaustive de toutes les pages du site. Il apparaît nécessaire de faire des choix préalables, de déterminer une hiérarchie au sein des pages du site à cartographier en fonction de l’objectif que l’on se fixe. Julien Caporal qui travaille sur « la cartographie comme métaphore pour un système hypermédia » relève à ce sujet que celle-ci n’est pas sans conséquence sur la perception du site.

‘« Cette métaphore est normative car elle n’est pas seulement un moyen de conceptualisation de l’information mais elle devient aussi un modèle pour organiser l’accès à l’information. Si elle ne colle pas forcément à la structure des données, ces dernières doivent tout de même s’y plier. En ce sens elle prédétermine et donc fige l’interaction entre l’utilisateur et le système. »435

Loin de représenter une crainte majeure pour les concepteurs de sites de presse habitués aux contraintes de la maquette et du rubricage, le cadrage des interactions serait plutôt souhaité. Mais une fois encore, la cartographie ne supporte pas d’importantes quantités de données, la surcharge d’éléments visuels à organiser sur une surface de petite taille (celle de l’écran) conduit souvent à la confusion la plus totale.

Le moyen privilégié pour donner des repères en « entrée de site » prend le plus souvent, la forme d’une table des matières dynamique. Importée de l’univers du livre, la table des matières propose une organisation structurée des contenus qui a l’avantage de donner un aperçu de l’ensemble et d’autoriser l’accès direct à des sous-rubriques sans emprunter la voie initialement prévue dans l’arborescence qui nécessite parfois de passer par de nombreuses pages avant d’atteindre son but...

Il faut aussi prévoir de donner à l’internaute le moyen de savoir où se situe le document qu’il consulte par rapport à l’organisation générale du site de façon à lui permettre de préciser et corriger les demandes qu’il adresse au serveur si nécessaire. Cela signifie que la co-présence de plusieurs moyens de repérage peut s’avérer utile : un système de guidage permanent qui évolue en même temps que la consultation associé à un système d’affichage des rubriques stables et essentielles.

Même si la presse imprimée suppose des pratiques de lecture non-linéaire compte tenu de la fragmentation des informations et de leur assemblage mosaïque, il demeure néanmoins que sa matérialité permet une appréhension concrète de l’objet à travers son volume, son format, son type de papier, son poids et éventuellement son odeur... Le repérage dans un journal imprimé passe par la manipulation, par le contact physique ; la finitude de l’objet ainsi que l’organisation relativement stabilisée des contenus autorisant un feuilletage maîtrisé du journal.

Le concepteur devra envisager le cas des connexions sur le site à la suite de requêtes formulées à partir d’un moteur de recherche. Chaque page, chaque fichier autonome est susceptible d’être vu par les robots des moteurs de recherche. Certains effectuent leurs recherches en texte intégral ; d’autres fonctionnent à partir d’une lecture des mots clés (ou meta-names) apparents ou cachés, placés dans l’entête du fichier HTML (head). Les concepteurs de sites de presse doivent donc considérer les différentes modalités d’accès aux pages qu’ils proposent, dont celle, inédite jusqu’alors, basée sur une requête formulée auprès de robots... Des stratégies de référencement s’avèrent indispensables combinées avec un travail graphique permettant la reconnaissance immédiate de l’émetteur. La position de l’usager en quête d’informations précises est instable ; il est d’autant plus important de le séduire par une présentation claire des contenus tout en lui signifiant quel genre de document s’est affiché sur son écran et qui le lui propose.

Se pose donc la question des limites du site souvent difficiles à apprécier et de l’organisation d’une grande quantité d’informations non statiques (à la différence d’une encyclopédie par exemple qui n’est pas contrainte de proposer un renouvellement quotidien de son contenu) en tenant compte de la petite surface d’inscription de l’écran... Ce dernier paramètre rend nécessaire une fragmentation supplémentaire des informations qui elle-même provoque une complexification à l’extrême de l’arborescence... La nécessité des repères est donc accrue, réduisant encore la surface laissée libre pour les contenus !

Notes
432.

VANDENDORPE Christian, Du papyrus à l’hypertexte. Essai sur les mutations du texte et de la lecture, op. cit., p. 172

433.

C’est notamment le cas sur la page d’accueil du site du Washington Post :

http://www.washingtonpost.com

434.

Voir notamment le travail de Paul KAHN et de ses étudiants présenté dans un ouvrage intitulé, L’architecture des sites Web, Pyramid, 2001. À titre d’exemple, nous reproduisons en annexe 9 une cartographie “classique” de sites comme en proposent les entreprises du secteur (appelées les Web Agencies) à leurs clients. À la vue de ce document qui se veut pourtant clair, on comprend combien l’entreprise est complexe lorsque le site à cartographier présente de très nombreux liens.

435.

CAPORAL Julien, « la cartographie comme métaphore pour un système hypermédia », in Hypertextes et hypermédias, réalisations, outils et méthodes, coordonné par BALPE Jean-Pierre, LELU Alain, SALEH Imad, Hermès, Paris, 1995, p. 60-61