g) La gestion de la typographie

De nombreux auteurs ont déjà analysé l’émergence historique d’un travail sur la typographie, extrêmement riche dans la presse quotidienne imprimée : apparition des titres, introduction des deux dimensions fondatrices de l’espace de la page du journal (avec la succession des colonnes verticales chapotées par un titre qui s’étire sur toute la largeur du journal)443. D’une façon plus générale, François Richaudeau s’est longtemps penché sur la question de la typographie considérée comme une des composantes essentielles de la lisibilité des textes imprimés444. Avec le développement de l’informatique et plus particulièrement des logiciels de traitement de textes, plusieurs types de problèmes ont contribué à marginaliser des savoir-faire ancestraux en matière de typographie.

En premier lieu, l’ordinateur a mis à la portée du plus grand nombre diverses polices de caractères et donné la possibilité de les manipuler, de jouer sur les casses, les corps, les graisses etc... Le respect des règles typographiques, pourtant nombreuses et précises a progressivement laissé la place à une joyeuse anarchie qui contrarie particulièrement les professionnels formés aux techniques de l’impression445.

En second lieu, le problème concerne l’équipement matériel et logiciel des utilisateurs. Chaque ordinateur (Mac ou PC) possède un certain nombre de fontes typographiques d’origine (livrées avec le système d’exploitation) mais elles ne sont pas identiques sur ces deux types de matériels... Tous les professionnels de l’impression travaillent à partir d’une très grande variété de fontes ce qui n’est pas le cas des internautes. Si la gestion des fontes typographiques n’est déjà pas simple en matière d’édition imprimée, la mise en relation des micro-ordinateurs permise par le réseau déplace les problèmes sans les résoudre. Le créateur de pages Web devra veiller à travailler à partir des polices de caractères les plus courantes c’est-à-dire celles qui sont intégrées et communes aux systèmes d’exploitation. Dans le cas contraire, il se peut qu’un site présente certaines bizarreries typographiques, le navigateur ne pouvant lire en réception, la police de caractères demandée affichera la page avec une police de caractères par défaut.

Le problème est encore plus criant lorsqu’on est confronté à des alphabets particuliers (en ce sens qu’ils sont différents de notre alphabet latin) utilisés par les langues japonaise, chinoise, arabe et bien d’autres encore. Deux solutions sont possibles pour que l’affichage de pages se fasse correctement alors que l’on ne possède pas les polices de caractères nécessaires à leur lecture : soit le concepteur dispose sur son site un lien qui permet de télécharger la police de caractère voulue, soit (mais c’est plus rare) le site est conçu intégralement avec des images. Le texte lui-même est travaillé et enregistré comme une image. Cela exige beaucoup de temps de réalisation et contribue à alourdir singulièrement les pages. C’est pourtant ce choix qu’à fait le journal palestinien Alquds permettant ainsi à tous les internautes d’avoir accès au site sans qu’il soit nécessaire de télécharger et d’installer des fontes spécifiques.

Les problèmes posés par la typographie dans le cadre de sites Web nous ramènent une fois encore, sur le manque de certitude quant à la forme que prendra le document en réception a fortiori si les concepteurs souhaitent innover. Les pages-écrans de la presse en ligne sont-elles condamnées à renoncer à la richesse des variations typographiques, au travail sur les contrastes, les ruptures qui attirent l’attention du lecteur, guide son regard ; distingue, fragmente et hiérarchise les contenus, imposant une véritable « rythmique visuelle », ... Le Web implique-t-il un nivellement visuel : des images en petit nombre et de petite taille ; des textes qui prennent forme à partir des typographies les plus communes ?

Notes
443.

L’étude sur les deux dimensions de la page de journal doit plus spécifiquement être attribué à Jean-François TÉTU, « Mises en page et illustrations au début du XXè siècle » in Cahiers de textologie, n°3, “textologie du journal”, textes rassemblés par Pierre RÉTAT, Minard, Paris, 1990, p. 111-140 Voir aussi les textes de Maurice MOUILLAUD, de Claude LABROSSE et Pierre RÉTAT dans ce même ouvrage.

444.

RICHAUDEAU François, La lisibilité, langage, typographie, signes... lecture, Denoël, Paris, 1969, 302 p.

445.

Constatant la disparition des typographes, au sein même des rédactions des plus grands quotidiens français, Louis Guéry justifie la publication aux éditions du CFPJ d’un Abrégé du Code typographique à l’usage de la presse, 6ème édition, 2000, 102 p.