C. Conclusion de la partie 2 : une redistribution des rôles

Prenant consciemment le risque d’une certaine schématisation, nous présentons en guise de conclusion quelques axes de comparaison entre les différents dispositifs médiatiques d’information d’actualité. Si les tableaux ne peuvent permettre l’inscription de données complexes et détaillées, ils présentent cependant l’avantage de mettre en évidence des spécificités et des tendances quant à l’évolution de ces dispositifs.

Tableaux comparatifs des dispositifs médiatiques de communication de l’information d’actualité
1. Dispositifs techniques en production
Journal imprimé Journal radio Journal TV Journal en ligne
Équipement et production industriels Équipement minimum accessible (ex. radios associatives) Équipement à la fois complexe et onéreux. Équipement minimum presque à la portée de tous.
  1. Avec la presse en ligne, on constate de façon très nette, un allègement du dispositif technique minimum nécessaire en production. La presse en ligne n’est pas concernée par les processus de production industrielle de sa consoeur imprimée et nécessite moins d’équipement de haute technologie que la radio et la télévision (voir notamment l’extrême sophistication des régies de montage...).

2. Dispositifs techniques en réception
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Aucun. Poste branché sur secteur ou mobile sur batterie. Terminal sur secteur + antenne. Dispositif polyvalent et complexe composé de l’équipement matériel, des logiciels, d’un accès aux réseaux électrique, téléphonique et Internet.
  1. À l’opposé, la réception de la presse en ligne voit un accroissement significatif du dispositif technique nécessaire. L’apparition successive des médias d’information va de pair avec cette surenchère constante en matière d’équipement pour accéder au contenu. De l’absence d’équipement pour la presse imprimée, au transistor qui nous accompagne tout au long de la journée (autoradio, baladeur etc.), en passant par le téléviseur qui nécessite un branchement sur le secteur (ou à une source électrique d’au moins douze volts) pour fonctionner, la presse en ligne impose un niveau d’équipement largement supérieur : à la fois plus complexe, statique et onéreux (même si les industriels nous promettent pour demain des accès multiples et simplifiés à partir des téléphones cellulaires et autres objets, encore à inventer).

3. Les modalités de diffusion
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Diffusion par transporteur et réseau postal à destination des points de vente et des abonnés Diffusion essentiellement sur réseau hertzien et par satellite. Diffusion essentiellement sur réseau hertzien, par câble et par satellite. Diffusion sur le réseau Internet. (sauf système d’abonnement spécifique).
  1. Une fois encore, le dispositif technique s’allège du côté de la production. La presse en ligne est un produit qui est mis à la disposition du public sans que les éditeurs aient à assumer un investissement important pour sa diffusion. Il appartient aux récepteurs de la presse en ligne de s’équiper, de se connecter et d’exprimer leur volonté de consulter tel ou tel site. Pour d’évidentes raisons de fidélisation du lectorat, les journaux développent des systèmes d’abonnement à des lettres d’information transmises par messagerie, invitant les personnes concernées à se connecter dans un second temps sur les sites Web correspondants.

4. Les modalités de consultation
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Acquisition d’un lot d’informations stables, puis feuilletage, lecture. Choix de la fréquence et écoute d’un flux d’informations. Changement aisé de fréquence. Choix de la chaîne, le flux d’informations est à la fois regardé et écouté. Changement aisé de chaîne. Connexion puis commande répétée de pages d’informations en cliquant sur des liens hypertextes. Changement aisé de site.
  1. Avec la presse en ligne, le récepteur gagne en maîtrise : il choisit, il commande, il est livré, il change et commande un autre document... L’information lui parvient de façon successive et fragmentée au fur et à mesure qu’il active tel ou tel lien hypertexte. Comme pour la radio et la télévision, il appartient au producteur de la presse en ligne de savoir séduire et retenir son public tant le contact que ce dernier entretient avec son média d’information est fragile, susceptible d’être rompu à tout instant.

5. Les territoires de diffusion
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Ils sont déterminés par les capacités du réseau de diffusion et par les attentes supposées du lectorat (national, régional, expatrié...) Ils dépendent des stratégies et des moyens mis en oeuvre par les producteurs mais aussi des équipements en réception. (ex :. satellite nécessaire pour recevoir des radios étrangères). Ils dépendent des stratégies et des moyens mis en oeuvre par les producteurs mais aussi des équipements en réception. La diffusion est potentiellement planétaire. Elle peut être limitée par des dysfonctionnements techniques et la politique de certaines régions du monde.
  1. La diffusion de la presse en ligne, contrairement aux autres médias, n’est plus une question de stratégies ou de moyens mis en oeuvre par les éditeurs. La diffusion de la presse en ligne dépend de la qualité des infrastructures et des équipements liés au réseau Internet ; de fait elle souffre de l’interdépendance accrue et difficilement contrôlable de divers relais technologiques. Ces derniers étendent à peu de frais la diffusion potentielle des journaux en ligne mais fragilisent les connexions et ne permettent pas de garantir le rendu des contenus.

6. Lieux et territoires de consultation
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Ils sont multiples du fait de la mobilité de l’objet mais dépendent en réalité de la diffusion. Ils sont multiples du fait de la mobilité et de l’autonomie du terminal de réception. Ils dépendent toutefois des stratégies de diffusion des producteurs et de l’équipement du récepteur (ex. : satellite nécessaire pour recevoir des radios étrangères). Consultation essentiellement au domicile. La réception dépend des stratégies de diffusion des producteurs et de l’équipement du récepteur. Ils dépendent du dispositif technique en réception : infrastructures, équipement, logiciel, connexion etc.. Consultation essentiellement dans les espaces professionnel et privé,.
  1. Une fois encore, la consultation de la presse en ligne semble s’affranchir du poids des décisions des éditeurs en matière de diffusion. En dehors de quelques problèmes de censure auxquels n’échappent aucun média, la consultation de la presse en ligne a pour seule limite l’équipement matériel des récepteurs.

7. Temporalités de diffusion
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Périodicité régulière, au mieux quotidienne. Fixées par la grille de programmes ou sur le mode du flux continu. Fixées par la grille de programmes ou sur le mode du flux continu. Offre disponible et accessible en permanence.
  1. Avec la presse en ligne, la temporalité de diffusion ou la périodicité de la mise à disposition du public du journal tend vers la permanence. Même renouvelée quotidiennement, la presse imprimée a rapidement été concurrencée par les multiples bulletins d’informations diffusés par la radio puis par la télévision. Comme sur les chaînes de télévision ou les stations de radio d’information continue, la presse en ligne peut proposer une information sans cesse renouvelée. Le faire est une question de choix et de moyens qui appartient aux dirigeants de ces entreprises.

8. Temporalités de consultation
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Sur la base d’un rendez-vous réglé par la périodicité de parution. Possibilité de consulter le journal à plusieurs reprises mais celui-ci se périme avec la parution du nouveau numéro. Sur la base d’un rendez-vous réglé par la grille de programmes ou au hasard du flux diffusé.
Péremption rapide avec la diffusion du nouveau bulletin d’information.
Sur la base d’un rendez-vous réglé par la grille de programmes ou au hasard du flux diffusé.
Péremption rapide avec la diffusion du nouveau bulletin d’information.
Selon le bon vouloir de l’internaute. Grâce aux possibilités de stockage, les informations sont recyclées au sein d’archives ou de dossiers thématiques. Le journal acquiert une mémoire...
  1. En installant l’information d’actualité dans la durée, la presse en ligne exerce moins de pression que les autres médias sur le récepteur concernant la fréquence et la régularité des consultations. Ce faisant, elle devient un espace médiatique singulier, doté de mémoire où l’actualité s’enrichit de la co-présence de l’archive.

9. Nature des signes mobilisés
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Textes et images fixes. Sons. Images animées et sons. (les textes sont rares et très courts, plutôt des légendes, des rappels de titres etc.) Potentiellement des textes, des images fixes et animées et des sons, sans oublier les « signes-passeurs » que sont les liens hypertextes
  1. La presse en ligne manifeste une complexité supplémentaire par rapport aux autres médias d’informations envisagés dans cette étude. Cette complexité provient en premier lieu de l’hétérogénéité de la matière première (même une fois numérisée), de la pluralité des signes mobilisés. À partir de cette co-présence potentielle, de l’hybridation et du métissage des genres, on peut imaginer que se créent de nouvelles formes de textualité à décoder, de nouvelles façons de dire, voir et comprendre le monde.

10. Compétences minimum en réception
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Compréhension du langage utilisé et lecture. Compréhension du langage utilisé et écoute. Compréhension du langage utilisé, écoute et vue. Compréhension du langage utilisé. Lecture, écoute, vue, manipulation du dispositif informatique et compétences logicielles.
  1. Force est de constater l’augmentation singulière du nombre et du niveau minimum de compétences nécessaires à la consultation de pages de la presse en ligne. Cet accroissement des compétences va de pair avec l’augmentation de l’équipement nécessaire à la consultation de la presse en ligne.

Il apparaît qu’avec la presse en ligne, un transfert de charge s’est opéré de l’éditeur vers le récepteur : charge en matière d’équipement mais aussi d’action puisque faire fonctionner le dispositif impose la permanence de l’agir technique. L’augmentation des compétences nécessaires se situe non seulement au niveau de la manipulation du dispositif que de la production du sens ; le récepteur construit seul sa consultation par une succession de « clics » qui activent la commande successive de pages sans que leur organisation, leur ordre ne puissent être imposés par l’éditeur. La prégnance de cette médiation technique produit une certaine forme d’abstraction et une posture paradoxale de l’usager (à la fois mise à distance et captation).

Le concepteur partage avec l’équipement, les infrastructures et les programmes, la responsabilité des formes. La technique contraint, interdit, contrôle, autorise, achemine, co-produit et signe. Les acteurs industriels revendiquent de façon impérialiste (en marquant le territoire de leur sigle) une responsabilité sur les contenus. Ils en autorisent l’existence, sont les outils de leur mise en forme et imposent la présence de leur marquage propriétaire (un peu comme une griffe sur un vêtement). Ce nouveau dispositif s’intègre parfaitement à notre société de consommation : obsolescence rapide des équipements, actualisation permanente des compétences.

Quelle part de liberté et de responsabilité reste-il aux éditeurs d’information alors que l’on constate un allègement significatif des investissements, une quasi-absence de décisions stratégiques en matière de diffusion. Prégnance accrue du dispositif technique, rôle plus important dévolu au récepteur ; comment se manifeste désormais la fonction éditoriale sur le Web et plus particulièrement sur les sites de la presse quotidienne d’information d’actualité générale ? Tout comme nous l’avons constaté du dispositif, notre travail se construit par couches successives. La couche ultime de cette recherche est constituée par les contenus proposés par les éditeurs de la presse en ligne. À suivre donc, une analyse des formes à la recherche des traces énonciatives, ou plutôt des traces de l’énonciation éditoriale de la presse en ligne.