I. Nommer, signer, modalités essentielles de l’énonciation

Avant de commencer notre étude, il nous appartient de justifier pour quelles raisons, dans le cadre d’une étude des formes, nous avons été amenée à nous intéresser aux noms. En réalité, si une attention toute particulière est portée aux noms dans ce travail, c’est que le fait de nommer contribue à faire exister un objet. Avec un nom se distinguent un être, un objet, un concept. Avoir un nom, c’est sortir de l’anonymat, du magma, de l’informe... Ainsi, dans la Genèse, il est dit du Dieu Créateur qu’il nomme et que, ce faisant, il distingue, crée et donne forme à ce qui n’était auparavant qu’informe. Nommer est un acte fondateur qui participe à la naissance de la forme, un acte de création énonciative par excellence.

Attachée à notre perspective de recherche sur la forme, l’étude du seul logotype, élément fondamental de ce que les professionnels appellent l’identité visuelle, nous paraît insuffisante ; une incursion dans la sémantique s’avère nécessaire pour saisir tout ce qui se joue à travers les noms. Reprenant le travail de Maurice Mouillaud sur le sujet459, rappelons quelques-unes des spécificités du « nom-de-journal », « énoncé qui est, à la fois, minimal et dominant »460. Le nom d’un site de presse appartient à la catégorie spécifique des noms propres même si, comme le note fort justement Maurice Mouillaud, le nom-de journal prend souvent l’apparence d’un nom commun461. Son statut particulier se traduit notamment par son emplacement dans la page, qu’il s’agisse de la Une du journal imprimé ou la page d’accueil du site Web. Généralement situé en haut et à gauche, ou s’étirant sur toute la largeur de la page, le nom-de-journal semble ouvrir la page, initier la lecture. En réalité, compte tenu de nos modes de lecture, on s’attarde peu sur le début des pages ou la page de gauche dans le cas d’une double page comme en témoigne le prix des insertions publicitaires dans la presse et la préférence des annonceurs pour les rectos des pages des magazines (généralement les pages impaires). De plus, la récurrence sans faille de la présence du nom-de-journal en tête de page, fini par rendre ce dernier quasiment invisible au lecteur. Et pourtant, le nom-de-journal agit comme une signature, il marque la responsabilité éditoriale concernant les messages qu’il supervise depuis sa position dominante en haut de page. Il contribue donner une unité au journal d’information pour la réalisation duquel la pluralité des contributions est nécessaire. Le nom-de-journal, et plus précisément encore, le logotype du journal fonctionne comme la signature singulière d’un collectif. La signature, que nos conventions d’écriture exigent manuscrite lorsqu’elle est individuelle, est l’écriture d’un nom qui prend une forme singulière, unique. Dans le cas d’une organisation, le logotype doit, tout à la fois, permettre l’identification d’une entité spécifique tout en la situant dans l’univers où elle évolue. À travers un logotype, on doit pouvoir lire le métier, les spécificités ou encore les valeurs de l’organisation. Ainsi, le choix du nom et d’un logotype d’un site de presse est réfléchi, stratégique comme l’est celui de toute marque, produit ou enseigne.

L’étude qui suit s’intéresse donc aux noms des sites et à leur traitement graphique, autrement dit le logotype placés en tête de la page d’accueil. Dans un second temps, ont été considérées les différentes apparitions des noms à l’écran et les effets de leur co-présence ainsi que les noms leur faisant écho en d’autres lieux (page imprimée, signet), soit les effets de la résonance.

Notes
459.

MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, Le journal quotidien, op. cit. p. 101-111

460.

MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, ibid, p. 101

461.

ibidem, p. 107