a) le nom du site et son traitement graphique : entre appartenance et singularité

1. De l’imprimé à l’édition en ligne : l’évolution du nom

Cette observation des noms participe de notre recherche concernant les signes de la filiation des éditions en ligne avec leur aîné imprimé. Avant de présenter les résultats de notre travail, il nous semble nécessaire de reproduire le tableau au sein duquel sont recensés les noms des journaux imprimés et ceux des sites Web correspondants. Nous avons choisi de reproduire le nom du journal et certaines précisions qui lui sont parfois attachées (quand nous en connaissions l’existence), tant celles-ci contribuent à préciser le nom (un peu comme le font généralement les sous-titres). Ces diverses précisions sont par ailleurs, souvent formellement liées au nom du site comme de l’édition imprimée. Les deux journaux en langue arabe sont absents de ce tableau ; ne maîtrisant pas cette langue, nous ne pouvons pas comparer les noms de ces sites avec ceux du journal papier. Précisons que l’usage des capitales et des bas de casse est respecté dans l’écriture des noms dans notre tableau et qu’une séparation du type « / » indique un changement typographique ou d’espace ( retour ligne, décalage, police de caractères différente, etc.). D’autre part, nous soulignons les changements de noms entre les deux éditions par le traitement en italique des textes qui disparaissent ou qui s’ajoutent.

NOM DU JOURNAL IMPRIMÉ NOM DU SITE WEB
1 THE GLOBE AND MAIL globeandmail.com/ THE GLOBE AND MAIL
2 LE SOLEIL LE SOLEIL
3 The Boston Globe The Boston Globe Online
4 Chicago Tribune Chicago Tribune/chicagotribune.com
5 The Miami Herald The Miami Herald/INTERNET EDITION
6 Newsday newsday.com
7 The New York Daily News New York’s hometown connection / DAILY NEWS/online edition
8 The New York Times The New York Times/ON THE WEB
9 San Francisco Chronicle San Francisco Chronicle
10 San Jose Mercury News Mercury Center/THE KNIGHT RIDDER REAL Cities NETWORK
11 USA TODAY USA TODAY
12 The Washington Post The Washington Post/washingtonpost.com
13 Süddeutsche Zeitung Süddeutsche Zeitung ONLINE
14 DIE WELT DIE WELT online
15 LE SOIR LE SOIR [en ligne]
16 De Standaard De Standaard / Online
17 Berlingske Tidende WWW.BERLINGSKE.DK
18 ABC ABC.es
19 El Mundo www.EL-MUNDO.es
20 EL PAIS EL PAIS / DIGITAL
21 Irish Independent Irish Independent Online
22 THE IRISH TIMES ireland.com/ THE IRISH TIMES
23 CORRIERE DELLA SERA CORRIERE DELLA SERA/on line
24 Il Messaggero Il Messaggero / On line
25 LA STAMPA LA STAMPA web
26 Aftenposten Aftenposten / INTERACTIV
27 NRC HANDELSBLAD NRC HANDELSBLAD
28 The Daily Telegraph electronic/Telegraph
29 The Guardian Guardian Unlimited network
30 THE TIMES THE TIMES
31 DAGENS NYHETER DAGENS NYHETER
32 Tages Anzeiger Tages Anzeiger
33 LE TEMPS LE/TEMPS.CH
34 TRIBUNE DE GENEVE EDICOM / TRIBUNE DE GENEVE
35 Neue Zürcher Zeitung NZZ/Online/ Neue Zürcher Zeitung
36 CHINA DAILY CHINA DAILY/.COM.CN
37 South China Morning Post scmp.com / South China Morning Post
38 The Indian Express express / india.com / india’s Home Page
39 la TERCERA la TERCERA
40 The Daily star Your Lebanese newspaper in English / The Daily star / On line
41 DIE BURGER DIE BURGER
42 THE JERUSALEM POST THE JERUSALEM POST / INTERNET EDITION
45 LIBERTE LIBERTE / QUOTIDIEN NATIONAL D’INFORMATION
46 Libération Libération / LIBERATION.COM
47 Le Monde M INTERACTIF / Le Monde / édition électronique
48 LE PROGRÈS / le journal de LYON et du RHONE LE PROGRÈS / EN LIGNE
49 ouest France Le service en ligne du journal/ ouest France
50 La Dépêche du Midi La Dépêche / en ligne
52 LA VOIX DU NORD LA VOIX DU NORD / en ligne
53 le Parisien le Parisien / en ligne
54 Le Républicain Lorrain Le Républicain Lorrain
55 l’Humanité LE WEB DE / l’Humanité
56 Clarín Clarín / digital
57 FRATERNITE MATIN FRATERNITE MATIN
58 DAILY NATION DAILY /NATION /ON THE WEB
59 La Presse La Presse/DE TUNISIE/en ligne

Notons tout d’abord que douze titres ont fait le choix de n’apporter aucune modification dans le nom de leur site par rapport à l’édition imprimée. Deuxième remarque qui va dans le sens de la première : de nombreux sites reprennent le nom du journal imprimé en se contentant de lui ajouter quelques mots issus du champ lexical de l’Internet. La plupart de ces « additifs cyber » ne manifestent aucune originalité ; on retrouve à plusieurs reprises les formules « on line », « en ligne », « le web de » « on the web », « digital », « édition électronique », « Internet edition », « interactiv », les fameux « www » et, bien entendu, l’incontournable « .com ». Même si ces termes ne nous surprennent pas tant on en a usé et abusé depuis le formidable essor du réseau Internet, nous pouvons toutefois faire quelques remarques concernant leur usage et ce qu’ils nous disent de la place conférée aux sites Web par rapport à leur référent imprimé.

Dans la majorité des cas, le nom du journal imprimé demeure l’élément fondamental, essentiel, du nom de site. Ce qu’on lui ajoute sert, soit à le qualifier (en prenant la forme d’un adjectif qualificatif) comme « interactiv », « digital » ; soit à préciser certains de ses attributs avec un complément du nom comme par exemple « Le Soir en ligne », « Die Welt on line » ; soit encore grâce à un complément circonstanciel de lieu comme « on the Web » notamment. Les « Internet edition » et « online edition » participent de la même logique : le journal ne change pas, seul le support ou le mode de diffusion diffère. L’éditeur, au lieu de publier les informations sur du papier (newspaper), les propose tout simplement sur le réseau Internet.

L’usage de l’adjectif « interactiv » paraît, de prime abord, plus audacieux car il semble contenir une promesse supplémentaire. En réalité, compte tenu du flou sémantique qui entoure ce terme, on peut légitimement s’interroger et se demander si le terme n’a pas simplement été choisi pour sa référence évidente aux nouvelles technologies sans que cela n’engage l’éditeur à faire plus d’efforts que ces confrères en la matière.

Tous ces éléments qui s’ajoutent au « nom-de-journal » pour reprendre la formule de Maurice Mouillaud462, font penser à des affixes. Nous faisons référence ici à ces «www. » et ces « .com » qui se viennent coller au nom-de-journal. La définition du dictionnaire concernant les affixes permet de mieux cerner l’intérêt mais aussi les limites d’une telle comparaison. Le Robert nous rappelle qu’un affixe est un « élément susceptible d’être incorporé à un mot, avant, dans, ou après le radical, pour en modifier le sens ou la fonction. »463 Ce qui peut justifier que les « .com » et « www. » soient assimilés à des suffixes et à des préfixes, c’est que le nom-du-journal (soit le radical, pour poursuivre la comparaison) est modifié du fait de l’ajout de ces éléments. Certes la modification n’est pas perceptible du point de vue phonétique, mais elle l’est au niveau scriptural : plus de capitales (même s’il existe des exceptions à la règle comme LIBERATION.COM ou www.EL-MUNDO.es), plus d’espace entre les mots (voir par exemple chicagotribune.com), et plus d’accent (ainsi, le site du Progrès qui a changé de nom depuis la constitution de notre corpus, s’appelle désormais leprogres.fr).

Ce type de noms de sites est probablement le plus intéressant car le plus complexe qu’il nous ait été donné d’observer : le nom-de-journal est modifié, mais pas phonétiquement ; les affixes viennent se coller au radical mais sans réellement s’incorporer ; un point « . », petit mais fondamental, les sépare... Pourtant, la crainte d’un défaut de reconnaissance du nom-de-journal semble inquiéter les éditeurs puisque les sites concernés par ce type de noms répètent aussi le nom de l’imprimé. Ainsi, huit sites font co-exister sur l’en-tête de leur page d’accueil, le nom du journal imprimé et celui de la version en ligne. Nous aborderons plus particulièrement cet aspect dans notre étude du traitement graphique des noms, vérifiant ainsi, comment se combinent ces deux noms en présence.

Parmi ces noms de sites avec « suffixes cyber », il convient de s’attarder sur les deux options représentées au sein du corpus. Certains font le choix d’inscrire à la suite du nom-de-journal les initiales qui, dans le monde d’Internet, indiquent l’ancrage territorial de l’éditeur (ABC.es, LETEMPS.CH). Moyen d’affirmer son origine géographique ? son identité nationale ? Moyen, peut-être aussi, d’éviter certaines confusions avec d’éventuels homonymes, présents aussi sur le réseau Internet, puisque le nom-de-journal est généralement un nom commun comme nous avons eu l’occasion de le souligner. On peut en effet, imaginer aisément qu’existe en Amérique du Sud un journal appelé El Mundo comme celui qui figure dans le corpus mais qui vient d’Espagne celui-là, ainsi qu’il l’indique avec son nom de site www.EL-MUNDO.es. À l’inverse, le quotidien Libération qui fait le choix du « .com » alors que son adresse Internet est indifféremment www.liberation.fr ou www.liberation.com, semble préférer ne pas afficher trop ostensiblement ses attaches nationales.

Choisissant de nous intéresser désormais aux mentions présentes sur le journal imprimé et qui disparaissent sur l’édition Web, nous découvrons que certaines d’entres elles sont justement des références à l’ancrage territorial du titre. Ainsi, San José n’apparaît plus sur le site du Mercury Center ; même principe pour « Le Progrès, Le journal de Lyon et du Rhône » qui devient Le Progrès en ligne, et pour La Dépêche du Midi qui abandonne sa référence au Midi pour devenir sur le Web, La Dépêche en ligne... La mention de la ville ou de la région disparaît apparemment sans que soit convoqué un autre territoire. Nous verrons, en étudiant la répétition des noms à la périphérie de l’entête de la page d’accueil, qu’il s’agit pour ces titres d’étendre leur territoire d’une localité, à toute une région, voire à tout un pays...

Autre type de disparition à déplorer, moins importante en nombre que les références au territoire, sont les précisions concernant l’activité du titre. Ainsi, le Daily Telegraph renonce à la notion de quotidienneté et devient l’eletronic Telegraph. De même, le San Jose Mercury News oublie le terme de «  news  » sur son site Web au profit de celui de « center » et de la présence du nom du groupe de communication qui se présente comme étant à la tête d’un réseau de sites de villes... C’est aussi ce que fait l’Irish Times qui ajoute sur son site la mention Ireland.com, quittant le strict domaine de la presse pour devenir le site générique de l’Irlande. Dans la même veine, on trouve le journal The Indian Express qui devient Express India.com, India’s home page ou encore The New York Daily News qui affirme être désormais New York’s hometown connection...

Notons pour finir quelques cas particuliers qui, au sein du corpus sortent un peu du lot. Ainsi le journal South China Morning Post est le seul a avoir choisi pour son site Internet les initiales de son nom-de-journal scmp.com. Ce type de procédé rappelle les noms de certaines stations de radios ou chaînes de télévision (RTL, BBC, TF1). Ce qu’il est intéressant de noter, c’est qu’une fois encore, l’éditeur ne souhaitant pas prendre le risque de na pas être clairement identifié redouble le nom du site avec le nom-de-journal...

Mais le site dont le nom nous semble particulièrement surprenant est celui du quotidien Le Monde. Face à la page d’accueil puis au moment de retranscrire le nom du site dans notre tableau, même sentiment de perplexité...

Quel nom porte réellement ce site ? M Interactif ? (écrit verticalement le long du « M » se trouve la mention suivante, tellement petite qu’elle est devenue quasiment illisible : Le Monde...). Doit plutôt parler du Monde (mais la typographie n’est plus celle du journal) ou encore du Monde édition électronique ou encore du Monde Interactif comme le laisserait supposer le nom donné au cahier hebdomadaire dédié à l’actualité des nouvelles technologies ?... Tant d’imprécision et de complexité mêlées sont surprenantes de la part d’un quotidien de la réputation du Monde... Le journal semble d’ailleurs vouloir corriger son erreur car le nom du site change dès le mois de mai 2000 pour devenir Tout le monde.fr. Le site se veut alors un portail et développe des « chaînes » thématiques... L’année 2001 verra un nouveau changement de nom pour finalement rester (pour l’heure) à la formule plus classique : Le Monde.fr... La simplicité est-elle la clé du succès ? Nous ne saurions nous prononcer sur cette question, mais l’éditeur affirme dans Le Monde 2 que le site du quotidien est le site français de presse qui obtient le plus grand nombre de connexions, devançant même celui des Echos 464.

En conclusion, il apparaît de façon très nette que la référence au média imprimé est incontournable. Par ailleurs, à travers l’observation des écarts existants entre le nom du site de celui du journal papier, se lisent certaines stratégies, affirmées ou plus hésitantes, certains jeux de pouvoir de l’ancien sur le nouveau.

Notes
462.

Maurice Mouillaud choisit d’écrire ces termes ainsi pour insister dit-il sur leur “solidarité”. Ce faisant, le nom-de-journal apparaît ainsi comme une entité spécifique. MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, Le journal quotidien, op. cit., p. 101

463.

Le Robert, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992, p. 18

464.

Le Monde 2, n° 9, juil./août 2001.