2. Le traitement graphique des noms de sites de journaux

Si, pour les besoins de l’analyse, il nous a semblé nécessaire de distinguer le nom du site et son traitement graphique, dans la réalité, les deux sont bien entendu indissociables. Le logotype est fondamental parce qu’il participe, au premier regard du lecteur, à la reconnaissance de l’instance énonciatrice.

Dans cette étude, il ne s’agit pas de procéder à une comparaison systématique du logotype présent sur la Une du journal imprimé avec celui de la page d’accueil du site Web ; nous ne ferions, la plupart du temps que répéter ce qui a déjà été noté concernant les noms. Nous resterons centrée sur notre corpus de pages d’accueil, cherchant, à partir de nos observations sur le travail graphique des logotypes, à comprendre ce qui se joue dans la combinaison d’éléments provenant de l’édition imprimée avec ceux qui leur ont été ajoutés465.

Notons brièvement, que sans surprise, les sites ayant choisi de présenter exactement le même nom sur l’édition en ligne que sur l’édition imprimée reproduisent tout aussi fidèlement le logotype. USA Today, Le Soleil, The Times ou encore La Provence, pour ne citer que ceux-là, se trouvent dans ce cas.

De la même façon, la logique voudrait que tous les autres sites dont on a noté l’attachement au référent imprimé, ne se contentent pas d’utiliser le nom-du-journal mais manifestent aussi leur lien par le respect de sa forme, par la reproduction exacte de son apparence. L’observation montre que la logique est respectée (à l’exception du Monde dont le cas particulier a déjà été évoqué). Quelques variantes, légères, peuvent être observées ici ou là.

Ainsi, le lettrage gothique du Boston globe prend quelques reliefs, quelques reflets ; le dessin séparant NRC de Handelsblad prend des couleurs, Die Welt anime le globe terrestre et les caractères de très nombreux logotypes apparaissent en réserve blanche sur un fond de couleur sombre

Mais, plus que la fidélité, la différence est intéressante. Celle-ci s’exprime dans les divers compléments de nom et autres suffixes dont il déjà été question. En effet, toutes les mentions additionnelles au logotype d’origine sont traitées de façon à exprimer sinon une rupture, en tout cas, une différence.

Ainsi, quand la typographie du logotype du journal imprimé se conjugue en Gothique, l’écriture de l’additif se fera plus fine, plus souple, plus arrondie ou à l’inverse, un peu raide mais sobre et épurée. La couleur aussi diffère, généralement plus vive ; la taille du texte se fait plus petite ; écriture en minuscule quand le nom du journal s’écrit en majuscule.

Les variantes sont nombreuses et point ne sert de tenter d’en faire une liste exhaustive. Ce qui importe, c’est la récurrence de cette volonté de différenciation signifiée par les contrastes de tailles, de couleurs, de styles typographiques... mais qui ne doivent en aucun cas altérer l’image du référent. Ces mentions venues introduire une touche de modernité, de nouvelles technologies, parfois presque ludique (Süddeutsche Zeitung) ne se présentent, rappelons-le que comme des compléments du nom principal, des attributs du sujets. C’est pourquoi leur présence se fait parfois extrêmement discrète.

Quelques éléments graphiques viennent parfois renforcer la référence aux nouvelles technologies. Ainsi le Daily News intègre, dans son logotype, le dessin stylisé d’un ordinateur.

Dans l’ensemble, les pages d’accueil dont les en-têtes sont construites à partir de la reprise du logotype du journal papier auquel sont ajoutées quelques mentions rappelant la diffusion sur Internet, annoncent des sites sans aucune autonomie par rapport au titre imprimé. Il semble que ses sites ne soient que de simples prolongements du journal papier. Parler de filiation, dans ce cas, paraît donc abusif car la filiation invite à penser l’autre issu de..., même si le lien entre l’un et l’autre est très important. Jusqu’à présent, l’étude des logotypes des sites de la presse en ligne, donnent le sentiment d’assister à des variations sur le même plutôt qu’à la découverte de l’autre...

Mais les cas les plus intéressants restent à examiner. Ainsi, comme nous l’avons noté précédemment, il arrive que coexistent au sein de l’en-tête de la page d’accueil le nom du site et celui du journal imprimé, pour une fois nettement distingués. Cette co-présence crée bien entendu des tensions et joue en faveur de l’un ou l’autre des noms, en fonction de leur place respective, de leur taille, etc. Prenons l’exemple du Chicago Tribune. Le journal imprimé demeure de toute évidence, la figure de référence. Avec ses lettres gothiques blanches, hiératiques, très lisibles sur fond bleu sombre, il semble écraser la mention chicagotribune.com située en dessous, de petite taille, justifiée sur le texte dominant. Respectant l’écriture des noms de domaine sur le Web, ce texte, sans majuscule, sans espace entre les mots manque singulièrement de relief...

Un peu dans la même veine, Libération ne semble pas spécialement souhaiter couper le cordon ombilical qui lie le journal avec le site, refusant au nom de l’édition en ligne toute mise en valeur, toute expression graphique d’une spécificité distinctive.

À l’opposé, le Washington Post tout

en s’affichant le premier, semble presque vouloir s’effacer pour laisser la place au nom du site. Même principe, en inversant les places des noms pour le Neue Zürcher Zeitung. Dans les deux cas, le logotype du journal imprimé se fait discret et semble ne constituer qu’un simple rappel du lien qui unit le site avec l’édition papier. Le principe est identique, quoique moins net, avec le site du Globe and Mail qui donne un léger avantage au nom du site par la présence d’un fond de couleur qui le met en valeur et par la taille des caractères légèrement supérieure à celle du logotype de l’imprimé.

Malgré la tension générée par la co-présence de deux noms en tête de la page, cette situation a pour avantage d’attribuer véritablement un nom propre à l’édition en ligne et de présenter une image de ce nom, distincte de celle de l’imprimé. Les conditions semblent ainsi réunies, pour qu’à l’avenir, l’édition en ligne puisse prendre quelques distances vis-à-vis de son référent et affirmer ses spécificités...

Mais quelque soit l’option choisie, simple déclinaison ou véritable filiation avec autonomisation potentielle, l’univers concurrentiel des médias d’information rend nécessaire une identification immédiate de l’énonciateur, à l’image de n’importe quelle marque commerciale. Ainsi, sur les pages d’accueil des sites de presse, l’identité de l’émetteur, loin de disparaître s’affiche au contraire avec force.

Notes
465.

En fonction de notre analyse, nous reproduirons quelques logotypes cités en exemple, ce qui permet d’éviter parfois de longues descriptions sur les détails de forme. L’ensemble des logotypes des pages d’accueil du corpus sont reproduits en annexe 11.