1. Par-delà le journal imprimé, qui parle sur les sites de la presse quotidienne en ligne ?

La question se pose en effet sur certains sites du corpus. Ainsi, plusieurs pages d’accueil présentent au niveau de l’en-tête, une pluralité de sigles qu’il convient d’étudier de plus près.

En premier lieu, le site peut se voir imposer la présence du nom du groupe de communication qui possède le titre de presse. C’est le cas de la Tribune de Genève avec Edicom et du Mercury Center avec la mention « the Knight Ridder Real Cities Network ». Chacune de ces mentions cache en réalité un lien activable qui peut permettre à l’internaute d’accéder aux « sites portails » de ces deux groupes de communication. Quand cette référence lui avait été imposée, il avait été question du mécontentement du Mercury Center dans la presse spécialisée. On imagine facilement que les journaux ne soient pas très favorables à l’incursion autoritaire dans leur territoire éditorial d’une entité qui les domine économiquement et juridiquement et qui, par ailleurs, semble vouloir détourner des connexions.

Le cas du Guardian Unlimited est différent. Le nom du site n’est en aucun cas gêné par la présence d’une instance étrangère, aux ambitions hégémoniques... Le site est en réalité le fait de deux titres de la presse britannique. Pour cette raison, les noms des deux journaux impliqués figurent en haut à gauche de la page d’accueil. Il s’agit du quotidien The Guardian et de l’hebdomadaire The Observer. La présence de ces deux noms est relativement discrète et aucun n’est activable. Le nom donné au site indique cependant que le quotidien est probablement le plus impliqué dans le projet, à moins qu’il ait été jugé plus opportun d’inscrire l’édition en ligne dans l’actualité immédiate et non hebdomadaire.

Le jeu des logotypes en tête de la page d’accueil peut aussi rappeler l’ambition d’un journal à devenir un « portail du local »466. Nous empruntons l’expression à Franck Rebillard qui, dans une analyse du nouvel environnement médiatique local à l’heure d’Internet présente comment, certains titres de la PQR développent des sites Web en tentant de profiter de leur position dominante, essayant par la même occasion de freiner le développement d’une nouvelle concurrence sur le terrain de l’information et des services de proximité.

Ce sont le Boston Globe Online et le San Francisco Chronicle qui illustrent, au sein de notre corpus, ce cas de figure. Dans les deux cas, le site du journal n’est qu’une rubrique du « site portail », mais que les connexions se fassent sur l’un ou l’autre des sites, elles profitent, in fine, à la même instance d’édition.

Ce qui est notable, et peut-être dommageable pour l’image des sites de presse, c’est l’austérité de leur logotype par comparaison avec ceux qui s’affichent à leur côté. Cette remarque s’applique tout particulièrement au Boston Globe Online et à la Tribune de Genève dont nous reproduisons les logotypes ainsi que ceux qui leur sont associés sur la page d’accueil de leur site.

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Dans tous les cas présentés jusqu’ici, faire la distinction entre le journal et l’instance qui vient s’ajouter peut paraître simple. En réalité, le statut de « l’invité », s’il n’est pas explicité par une mention très claire (comme c’est le cas pour le Mercury center) ne sera compris que si l’on active le lien pour se rendre sur le site. Mais là encore, le trouble peut persister. En effet, tous ces sites « portails » proposent eux aussi de l’information, souvent mise en forme de la même manière que sur les sites de presse... Dans ces conditions, établir le type de relations en jeu entre les deux instances éditoriales dont les logotypes s’affichent en tête d’une même page d’accueil n’est pas nécessairement simple pour un public non averti. Nous considérons même, que cette co-présence a toutes les chances de créer la confusion et le trouble dans l’esprit de l’internaute.

Nous n’avons pas encore évoqué la question des annonceurs publicitaires qui contribuent largement à cette abondance de logotypes en tête de la page d’accueil. Bien sûr, l’internaute lecteur de la presse en ligne aura probablement vite fait de repérer les espaces réservés aux insertions publicitaires : longues bannières aux formats voisins d’un site à l’autre ou petits encarts de la taille des colonnes. Par ailleurs, les annonceurs disposant de peu de place pour attirer l’attention du lecteur, utilisent la surface ainsi louée au journal, pour présenter sans détour, un argument qui se suffit à lui-même ou, ce qui est plus difficile encore, doit provoquer l’envie de cliquer sur la bannière de façon à en savoir plus. Formats et emplacements récurrents, style de messages relativement bien repéré..., certes. Cependant, distinguer, mais aussi et surtout, attribuer les statuts et rapports de place qu’entretiennent les différents émetteurs qui se bousculent en tête de la page d’accueil est-il pour autant chose aisée ? Certainement pas. Imaginons par exemple, qu’un annonceur décide tout simplement de présenter son logotype sans autre mention, sans animation sur un des espaces habituellement réservés à la publicité en tête de la page d’accueil. Imaginons donc, France Télécom, AOL ou Alta Vista, tous acteurs importants de l’économie des NTIC, s’afficher au côté du nom d’un site de presse en ligne... Ne serions-nous pas en droit de nous interroger au moment de désigner la ou les instances énonciatives du journal en ligne ?

L’exemple qui suit vient d’ailleurs parfaitement illustrer notre propos. Si l’exemple est plus parlant que d’autres, c’est que le journal est belge et que nous ne faisons plus partie dès lors, de ce que nous avons appelé un public averti... Quel est donc le statut de l’instance qui présente ainsi son logotype à côté de celui du journal De Standaard Online ? Un annonceur publicitaire ? Le fournisseur d’accès Internet du journal ou son partenaire multimédia ? Un groupe de communication qui possède et contrôle le titre de presse ?

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Toutes ces questions sont légitimes et ne trouveront de réponses qu’après l’examen de l’offre de celui qui prend place à côté du nom du site...

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Que penser aussi de la situation du Parisien en ligne qui voit s’afficher à côté du nom-du-journal, un annonceur qui lui est visiblement apparenté et fait commerce de bouquets de fleurs467 ? Qui fait quoi en fin de compte ?

Ce type d’interrogation pourrait s’étendre au contenu présenté sur toute la surface de la page d’accueil et même sur toutes les pages du site. En effet, de nombreux dossiers et rubriques ont des adresses différentes de celles des pages d’informations du journal. Qui s’exprime alors ? Quelles relations le journal entretient-il avec ces producteurs de contenu ? Nous reprenons plus loin ces questions concernant le territoire éditorial, plus ou moins ouvert, des sites du corpus.

La dernière question enfin, pourrait être la suivante : s’oriente-t-on, finalement, vers un modèle qui rappelle celui de la télévision, où la chaîne dispose d’un canal de diffusion qu’elle a la charge de rentabiliser, notamment en programmant divers types de contenus qu’elle produit ou qu’elle se contente d’acheter à des maisons de production et à des circuits de distribution spécialisés ?

En conclusion, il apparaît que la présence contiguë de plusieurs logotypes représentant des instances aux statuts parfois difficilement définissables est particulièrement propice à semer le trouble dans l’esprit de l’internaute. On sait qu’il existe entre un lecteur de la presse imprimée et son journal ce qu’il est convenu d’appeler, un contrat de lecture. On voit mal comment un tel contrat pourrait s’établir entre le lecteur-internaute et une instance énonciatrice indéfinie ou mal identifiée.

Notes
466.

REBILLARD Franck, « La presse quotidienne régionale dans l’environnement médiatique local de l’Internet. Un “portail du local” ? », media local.net ? RINGOOT R., RUELLAN D., THIERRY D., (coord. par), à paraître en avril 2002.

467.

Nous reproduisons l’en-tête du Parisien en ligne à partir d’une impression en noir et blanc réalisée le 10 avril 2000, jour de la constitution du corpus. L’impression au moment de la connexion est bien souvent la seule façon de garder une trace des publicités sur les sites web. Celles-ci sont envoyées par des serveurs spécifiquement dédiés à cette tâche qui gèrent la fréquence, l’emplacement et la durée d’apparition des insertions sur les pages des sites, en fonction des termes du contrat commercial établi entre la régie publicitaire et l’annonceur.