L’intérêt que nous portons aux adresses se justifie de plusieurs manières. En premier lieu, elles ont attiré notre attention parce qu’elles intègrent le nom-du-journal et qu’ainsi, elles contribuent par résonance, soit à imposer le nom du site grâce à la rigueur de la répétition, soit au contraire, elles ajoutent un peu plus à la confusion.
L’importance des adresses est, par ailleurs, liée à certaines spécificités du dispositif technique. Comme nous avons pu le noter en effet, les documents apparaissent à l’écran sur le mode de l’affichage et celui-ci nécessite que l’on en fasse la demande. Ainsi, tout utilisateur d’Internet a éprouvé l’importance des adresses, clés finales et indispensables d’accès aux sites web. Lorqu’une adresse n’est pas connue, on peut bien sûr essayer d’en composer une, à tout hasard, mobilisant ce que l’on sait de la construction des URL sur l’Internet468. Cela fonctionne parfois, mais les surprises sont nombreuses.
Cette clé d’accès essentielle à la navigation sur le web fait souvent plus que simplement répéter les noms des sites souvent choisis comme noms de domaines. Ce sont bien entendu ces précisions supplémentaires qui nous intéressent tout particulièrement dans cette étude.
Nous avons considéré les trois modalités suivantes de l’adresse d’un site : celle que l’on demande, celle à laquelle on accède finalement et enfin, celle qui s’inscrit sur la feuille de papier quand on imprime la page consultée. Les adresses demandées, correspondent aux adresses données par la liste fournie par Courrier International. Nous avons aussi procédé à quelques expérimentations sur ces adresses, imaginant qu’en l’absence d’informations, il nous faudrait essayer de les composer à partir de nos intuitions et de nos connaissances sur le système d’adressage sur l’Internet. Les résultats de ces quelques essais sont présentés à la fin de cette étude.
Notre analyse portera donc sur les différences existant entre les trois modalités d’adresses définies469.
Comme pour l’étude de la répétition des noms, nous proposons une reproduction partielle des données, placées dans l’ordre de leur apparition dans notre commentaire. Les points spécifiques auxquels il est fait référence dans l’analyse qui suit sont présentés en italique dans le tableau.
Notons tout d’abord qu’un peu plus de la moitié des sites du corpus (au nombre de 33 exactement) respecte le système de construction normalisé des adresses sur le réseau Internet, choisissant pour nom de domaine une formule approchante du nom-du-journal compte tenu des contraintes d’écriture qui imposent de supprimer les accents et les espaces entre les mots notamment (voir à titre d’illustration, l’exemple du journal The Globe and Mail dans le tableau). Le nom de domaine peut cependant être l’occasion de choisir entre une inscription en « .com » et la mention du pays dans lequel se situe le serveur. En optant pour cette dernière solution, les éditeurs manifestent ainsi leur volonté d’affirmer leur appartenance nationale. En France, les prestataires de service concernés par l’enregistrement des noms de domaines conseillent généralement à leurs clients une inscription en « .fr » parce que, disent-ils, les noms sont ainsi mieux protégés des plagiats par la loi française que les « .com » souvent enregistrés aux Etats-Unis. Les arguments en faveur du « .com » sont la rapidité des formalités d’enregistrement, un moindre coût et l’image d’un site plus global, pas nécessairement marqué par une identité nationale. Compte tenu de ces divers arguments, on peut s’étonner du fait qu’aucun des deux sites chinois n’inscrive dans son adresse, son attache nationale... Mais préférant le « .com » ou le « .net »470, ces sites sous contrôle de l’État chinois, contribuent à la création d’une image plus ouverte du pays. Rédigés en anglais, ces sites constituent des vitrines internationales de leur pays.
À l’écran et sur la page imprimée, certains journaux choisissent de présenter une adresse contenant le nom de fichier de la page consultée, mêlant ainsi des informations d’ordre technique qui concernent les langages utilisés pour sa construction (voir les divers « .stm », « .asp », et autres « .html » en fin d’adresse) et des appellations significatives du rôle conféré à cette page par le concepteur du site. (Ceci reprend les remarques faites au cours de l’étude de la répétition des noms au sujet des de la présence de termes tels que « homepage », « frontpage », « une », « index » etc.). Dans certaines adresses apparaît le terme d’index, fréquent pour désigner la page à partir de laquelle se déploie l’arborescence d’un site (voir notamment le site de NZZ Online, ligne 2 du tableau). Comme dans les diverses précisions relatives aux noms étudiées précédemment, les adresses contiennent parfois des termes décrivant le contenu de la page, révélateurs des héritages et du système de référence des professionnels de la presse en ligne. Ainsi, nous notons la récurrence des termes rappelant la presse quotidienne imprimée avec les mentions « today », « infos », « Une » etc. (l’ensemble de ces remarques est illustré par les exemples présentés dans le tableau, ligne 2 à 8). Même si ces adresses paraissent un peu longues et visiblement pas conçues pour être mémorisées, elles ne constituent pas un obstacle à l’accès aux sites puisque justement, il n’est pas nécessaire de les connaître. L’adresse minimale, celle qui se termine avec les fameux « .com », « .org », etc. ou la localisation du serveur (« .fr » pour la France, « .de » pour l’Allemagne, etc...) suffit le plus souvent à permettre l’accès aux sites. Il demeure néanmoins, que les longues adresses qui s’inscrivent à l’écran ou sur les feuillets imprimés peuvent créer une certaine inquiétude parce qu’elles constituent un rappel de la complexité du dispositif technique. Par ailleurs, la logique qui préside à leur construction appartient aux concepteurs des sites qui, de toute évidence, ne se préoccupent pas des effets potentiels de ces successions incompréhensibles de signes sur les internautes qui ne sont pas nécessairement familiers des codes et autres langages informatiques... Le site du Daily Telegraph par exemple, atteint un sommet inégalé au sein du corpus, en matière de complexité. L’adresse qui s’inscrit dans la barre du navigateur comme sur la feuille imprimée est effet, la suivante :
http://www.te l egraph.co.uk:80/et?ac=0026403825458qubesXp9&pg=/index.html
Ce que l’étude des données révèle, c’est une montée en en complexité d’une colonne à l’autre du tableau. La première colonne rappelant les noms des journaux imprimés à l’origine des sites web présente en quelque sorte la « base », le noyau dur à partir duquel s’élaborent les adresses Internet. Viennent s’ajouter dans la deuxième colonne (celle des adresses demandées) les divers signes qui n’ont d’autre raison d’être que de répondre aux contraintes de construction des URL sur le réseau Internet. À ce niveau du tableau, seuls Fraternité Matin, Die Burger et Daily Nation présentent des adresses complexes. Nous ne reviendrons pas sur le cas particulier, déjà évoqué, de Fraternité matin. Notons cependant, qu’une vérification effectuée en juillet 2001, a permis de constater que la situation de ce site a changé : ce dernier n’est plus hébergé par Africa Online. L’adresse que nous possédions donne accès à une page informant de la nouvelle localisation du site et redirigeant automatiquement l’internaute. Cette nouvelle adresse (www.fratmat.co.ci) indique que le journal dispose enfin d’un nom de domaine en propre. Dans le cas du journal Die Burger, la page d’accueil répond aussi à une adresse fort complexe et éloignée de toute « logique » en la matière. Notons qu’il n’est pas nécessaire de la connaître pour accéder au site : l’essai d’un hypothétique « dieburger.com » nous en a ouvert la porte... La situation du Daily Nation paraît nettement plus délicate puisque les internautes qui essaient de se connecter sur le site à partir du nom du journal en composant l’adresse « dailynation.com », voient s’inscrire à l’écran, la page d’accueil d’un annuaire de recherche sur le web. Cette situation nuit nécessairement à la visibilité du site qui dispose curieusement, d’une adresse dont le nom de domaine est celui d’une station de radio d’information nationale. Or, cette dernière ne possède pas de site et se contente d’un simple lien sur le site du journal, lien qui permet d’accéder à de l’information audio... Dans ce cas, il est clair que l’obligation d’utiliser une adresse qui intègre le nom d’un média différent de celui qui se présente ensuite comme l’énonciateur principal des pages affichées peut troubler l’internaute. La polyphonie énonciative s’apparente ici à la cacophonie.
Dans la troisième colonne qui correspond à l’inscription sur écran de l’adresse d’arrivée, on note souvent la présence de noms de fichiers venu s’ajouter aux adresses initiales. D’une certaine façon, s’affichent ainsi, des éléments de fabrication qui ne concernent pas le récepteur des documents et viennent seulement encombrer un peu plus la surface déjà réduite de l’écran avec des succession de signes n’ayant aucun sens (voir par exemple l’adresse du New York Daily news avec ses multiples « /-/-/ », sans oublier l’exemple extrême, déjà mentionné du Daily Telegraph).
Enfin, dans la quatrième colonne (celle des adresses inscrites sur les feuillets que l’on imprime), on note la présence de quelques longues adresses pour des sites qui jusque là s’étaient tenu à plus de simplicité, à l’exemple du Times ou du journal chilien La Tercera. Au niveau de l’impression, ces deux sites ajoutent à l’adresse de base, la date de création du fichier. L’adresse, devenant ainsi à la fois une signature et une datation, prouve à l’évidence que l’émetteur ne souhaite pas perdre le contrôle d’un texte qu’il a produit alors que ce dernier est appelé à être conservé ou peut-être diffusé hors de son contexte de situation premier.
Avant de poursuivre plus loin l’analyse, notons la situation surprenante dans laquelle se trouvent certains sites du corpus, tous français... En premier l’inversion du nom de Ouest-France qui devient france-ouest.com sur l’Internet a de quoi étonner. À la fin de l’année 2000, l’éditeur a corrigé cette bizarrerie. Depuis lors, les adresses « ouest-france.com », « ouest-france.fr » et « france-ouest.com » conduisent toutes au site du journal. Le deuxième cas de figure, un peu surprenant, concerne l’adresse du site de L’Humanité. En effet, l’adresse « humanite.presse.fr » n’est pas la formule la plus simple que l’on puisse imaginer. À ce choix, il existe deux explications possibles : en premier lieu, on pourrait penser que le journal manifeste ainsi quelques réticences à présenter un site qui, si l’on entend le nom commun derrière le nom propre, semblerait désigner l’humanité toute entière tout à la fois comme objet de discours et public potentiel. On peut opposer à cet argument que si l’éditeur avait inscrit l’humilité et la modestie au titre de ses valeurs essentielles, le journal ne s’appellerait pas L’Humanité et le site Le web de l’Humanité ! La deuxième option possible est celle que nous retiendrons. L’éditeur s’est probablement fait doubler dans la réservation du nom de domaine « humanité.fr ». La réservation des noms de domaines sur Internet a connu un certain engouement en effet, après la circulation de quelques histoires concernant des personnes devenues très riches après avoir cédé leurs droits sur des noms de domaine très convoités comme le fameux « business.com » par exemple. Celui (individu ou entreprise) qui a réservé « humanite.fr » n’en a pas fait usage puisqu’aucun site ne répondait à cette adresse au printemps 2000. Cette situation, préjudiciable pour le journal, témoigne de l’imprévoyance de l’éditeur et du caractère tardif de sa décision d’exploiter l’Internet, probablement dû à sa sous-estimation du développement du réseau en France. Cette erreur stratégique est désormais corrigée (les réservations doivent être renouvelées tous les deux ans ce qui autorise parfois quelques ajustements) et le site du journal est maintenant accessible à partir l’adresse « humanite.fr ».
Le même type de problème touche le site de La Provence dont l’adresse sur le web est « laprovence-presse.fr ». Mais à la différence du cas de L’Humanité, un site existe à l’adresse « laprovence.fr » et « laprovence.com ». Il s’agit d’un site commercial qui propose divers services et des informations touristiques sur la région de Provence et qui n’a aucun lien avec le journal. Cet exemple illustre bien le fait que l’erreur ou l’absence de réflexion stratégique peut finalement coûter très cher à l’éditeur471.
Avant de poursuivre, remarquons brièvement la situation d’un autre site du corpus qui n’est pas accessible à partir du nom du titre imprimé. Il s’agit du journal gouvernemental La Presse de Tunisie, qui se trouve tout naturellement hébergé par le serveur officiel de ce pays « tunisie.com ».
Mais le plus significatif en termes de stratégie dans cette étude des adresses concerne les journaux qui développent des sites portails ou qui participent à des sites de groupes de presse fédérant l’offre de plusieurs titres. Cette situation concerne, en réalité quatre sites du corpus, émanations du Boston Globe, du San Francisco Chronicle, de l’Irish Times et enfin, d’Il Messaggero. À l’époque où nous avons procédé à cette observation des adresses, ces quatre sites n’étaient pas accessibles à partir des adresses fournies par Courrier International et qui paraissaient pourtant « logiques ». En réalité, l’internaute qui voulait accéder aux sites des journaux se voyait systématiquement dirigé sur le site portail ! Ce n’est qu’à partir de ce dernier, qu’il pouvait éventuellement activer un lien hypertexte et obtenir la page d’accueil du site du journal... Le cas de l’Irish Times est un peu différent parce qu’il n’existe pas de site spécifique au journal ; portail et site de journal sont confondus. Précisons aussi, que depuis quelques mois, les deux sites américains ont changé de façon de procéder. Dorénavant, il est aisé d’obtenir la page d’accueil du journal, même avec des adresses plus ou moins approximatives. De toute évidence, le passage imposé par le site portail a dû déplaire... Même si la technologie permet, grâce à diverses programmations d’imposer des « comportements »472, l’éditeur ne peut prendre le risque de poursuivre dans la voie d’une stratégie qui déplait à son public ! Pourtant certains persistent dans la voie du détournement systématique : en demandant « www.ilmessaggero.it » on obtient toujours « www.catalnet.it » ; étonnant...
Nos diverses expérimentations en matière d’adresses nous ont prouvé à quel point, la question de l’accès des sites peut s’avérer délicate. Les éditeurs les plus prudents ont envisagé, dès leurs premiers pas sur le web, les demandes probables des utilisateurs en matière d’adresse, réservant plusieurs noms de domaines et redirigeant sur le site du journal, les internautes qui ne possèdent pas les coordonnées exactes des sites. Tous n’ont pas cette qualité de réflexion et peut-être aussi, les moyens financiers de protéger leur nom et l’accès à leur territoire éditorial. Le problème est d’autant plus marqué que les noms de nombreux journaux de la presse quotidienne imprimée sont des noms communs ou des noms attachés à un territoire et peuvent donc concerner d’autres acteurs de la vie sociale et économique, désireux de développer un site web.
Voici d’ailleurs, les résultats de quelques-uns de nos essais en matière d’adresse :
« sanfrancisco.com » est l’adresse d’un site de ville, n’ayant aucun lien avec celui que développe l’éditeur du journal et qui répond à l’adresse « sfgate.com ».
« miami.com » est l’adresse d’un site de ville appartenant au réseau Real Cities du groupe Knight Ridder, groupe qui possède aussi le journal Miami Herald. Curieusement, l’adresse « miami.herald.com » est invalide.
« telegraph.com » est l’adresse d’un journal qui n’a rien en commun avec le Daily Telegraph.
« chinadaily.com » est apparemment l’adresse d’un journal qui exige une inscription préalable et mot de passe pour accéder aux contenus. Rien n’indique que ce site ait un lien avec le journal et le site du China Daily
« leparisien.com » est un site de ville du réseau développé par la filiale multimédia du quotidien Le Parisien...
« lemonde.com » est l’adresse d’un répertoire mondial, rédigé en anglais, de sites de villes.
En guise de conclusion, nous remarquons que les deux principales options stratégiques mises à jour par l’analyse des noms et de leur répétition, se trouvent confirmées par l’observation des pratiques en matière d’adresses. Ainsi, on retrouve :
soit l’affirmation d’un positionnement stable par la récurrence du nom quasiment invariable dans ces multiples modalités d’inscription,
soit, l’exploitation des différents espaces d’inscription du nom pour apporter diverses précisions concernant le lien qui existe entre le site et son référent imprimé, son inscription territoriale, son projet, etc...
Parfois, la situation se complique avec l’entrée en scène d’autres participants (noms de sites portail, d’hébergeurs, d’annonceurs) avec lesquels il semble que le journal doive partager son statut d’énonciateur.
Avec les diverses précisions concernant leur positionnement (qui ne cesse d’être rectifié), les éditeurs de certains sites affichent publiquement leurs hésitations, les paradoxes de leur réflexion stratégique. Ce faisant, ils contribuent à nourrir les incertitudes et le flou qui entoure la question des spécificités de la presse en ligne qu’il conviendrait pourtant d’affirmer pour garantir son développement et probablement sa pérennité.
URL : Uniform Ressource Location. Il s’agit d’un système d’adressage normalisé, contenant les informations nécessaires aux serveurs pour accéder aux ressources demandées. Une adresse se compose généralement de la façon suivante : protocole utilisé (http:// correspond au protocole de transfert de fichiers hypertextes) puis type de serveur (www correspond au web) puis nom du serveur (correspondant pour nous au nom du site) puis pays et/ou le répertoire dans lequel se trouvent les fichiers au sein du serveur.
Le tableau répertoriant toutes les adresses et leurs diverses formes est présenté en annexe 13.
L’inscription en “.net” est supposée concerner les acteurs ayant vocation à s’occuper du réseau. En réalité, n’importe qui ou presque peu présenter un nom de domaine en “.net”. C’est le cas en particulier de nombreux hébergeurs.
Les éditeurs ne sont pas seuls concernés par ces questions de réservation de noms de domaine. Ainsi, le quotidien de Lyon Le Progrès signale dans un article daté du 31 août 2001 que les villes de Lyon et Marseille ont été fort imprévoyantes. Elles découvrent que les adresses www.villedelyon.com et www.villedemarseille.com conduisent l’internaute sur un site pornographique....
Le logiciel de création de pages web Dreamweaver, référent sur le marché de l’édition sur Internet nomme certains scripts informatiques (javascripts préprogrammés) des “comportements”....