a) Formats et unités de base de l’architecture graphique des sites de presse

Comme toute métaphore, celle qui consiste à comparer la mise en page au travail de l’architecte a bien entendu, ses limites qu’il convient de ne pas dépasser. Nous poursuivrons cependant dans cette voie, dans ce parallèle entre architecture et maquette, entre un édifice et un site web parce qu’il nous semble que la métaphore peut s’avérer productive et permettre de mieux cerner la nature de nos objets d’étude.

Tout comme l’architecture, la mise en page est une construction, une création qui doit respecter des règles. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit tout d’abord de dessiner des contours, de tracer les limites, de définir un format et un volume. Contrairement à l’idée communément admise, un site d’information ne constitue pas un espace infini parce que le vertige que procure cette notion de non-finitude de l’objet serait intolérable. Par ailleurs, des fondations sont nécessaires à toute construction pour la stabilité de l’édifice, pour l’équilibre des formes.

Pour en savoir un peu plus sur les éléments graphiques à la base de l’élaboration des pages des sites web de la presse en ligne, nous avons noté les choix des éditeurs en matière de format à partir de l’affichage des documents à l’écran mais aussi de leur impression476. Notre attention s’est surtout portée sur la page d’accueil des sites. Notre métaphore avec l’architecture nous invite à comparer cette page d’accueil à la façade d’un bâtiment. En effet, la page d’accueil est ce qui se donne à voir en premier, face externe de l’édifice, qui par sa construction laisse imaginer l’intérieur, ces espaces qu’on n’atteint qu’après avoir franchi le seuil. Si nous nous attardons sur cette page d’accueil, c’est justement parce qu’elle est l’espace au sein duquel, l’éditeur doit inscrire l’essentiel de ce qu’il souhaite faire savoir à l’internaute qui consulte le site. Bien entendu, nous sommes allée voir au-delà de cette façade. Nous présenterons quelques-uns des résultats d’une étude des pages « intérieures » à laquelle nous avons procédé sur certains sites du corpus seulement. Envisagé de façon systématique sur tous les sites, ce travail serait tout simplement titanesque car les sites de presse multiplient les liens activables en page d’accueil. De fait, quand un site présente plus de 230 liens sur la page d’accueil, il faut de nombreuses heures pour « feuilleter » ce deuxième niveau de l’arborescence, disposer de beaucoup de mémoire informatique pour enregistrer les pages vues, et probablement ingérer quelque remède pour calmer cette sensation de vertige que génère la quantité de documents affichés successivement. Concrètement, sur la cinquantaine de pages d’accueil que compte notre corpus, 5505 liens activables ont été dénombrés en date du 10 avril 2000.

Compte tenu des points déjà évoqués dans notre étude du dispositif concernant les variations d’affichage, nous ne pouvons donner précisément le format des pages à l’écran. L’impression des pages-écrans, malgré certains ajustements automatiques du logiciel de navigation, nous donne une unité de mesure qui nous permet de procéder à quelques comparaisons significatives.

Le premier constat qui s’impose à nous est le suivant : alors que les écrans informatiques peuvent être rapprochés des écrans de télévision plus larges que hauts, les sites d’information ont majoritairement choisi le format vertical.

Arrêtons-nous cependant, sur les quelques sites qui font exception à la règle et tout d’abord, ceux qui ont une conception « magazine » ou « télévisuelle » de leur page d’accueil. Par cette expression, nous entendons une stratégie éditoriale qui consiste à présenter en premier lieu une sélection d’informations jugées attractives, mêlant titres accrocheurs et photographies, la totalité de la page étant visible à l’écran, sur un format soit horizontal, soit proche du carré ne nécessitant aucun défilement. Cette option concerne notamment Le Soir et Berlingske Tidende, qui ont pour particularité de proposer une version animée de leur page d’accueil, avec des informations tournantes, tel un diaporama qui fonctionne en boucle. Il est donc significatif de constater que ceux qui font le choix de privilégier l’aspect visuel des informations semblent être attirés vers des formats qui rappellent ceux de la télévision.

Pour Le Républicain Lorrain, la page d’accueil, construite comme une mosaïque, semble s’apparenter plutôt à la couverture d’une brochure régionale proposant des dossiers de fond sur la vie de la région, des contacts avec les communes, etc. La présence visuelle du journal grâce au logotype du titre placé au coeur de cette mosaïque régionale, positionne ce dernier comme un acteur fédérateur au niveau local mais le lien avec l’information d’actualité semble devenu secondaire. En effet, l’accès au journal du jour ne se fait que si l’on active le lien placé au niveau du logotype si bien qu’au premier regard aucune actualité ne se trouve associée à ce titre de Presse Quotidienne Régionale bien connu en France.

Pour d’autres sites encore, le petit format de la page d’accueil et le peu d’informations proposées semblent plutôt liés à un manque de moyens ou d’ambition. Ce cas de figure correspond assez bien aux journaux suivants : Il Messaggero, Tribune de Genève (dont l’essentiel de la page d’accueil est occupé par la reproduction de la Une du jour), El Khabar ou encore La Provence. Pour le journal algérien La Liberté, l’édition en ligne fait plutôt penser à la diffusion d’un message militant ; une lettre d’information quotidienne dans laquelle l’information principale dont la forme s’apparente le plus souvent à une sorte d’éditorial, est accessible immédiatement et en intégralité sans artifice graphique. Dans ce dernier cas, peu de moyens mais aussi l’urgence d’un message à délivrer tout simplement.

Mais pour l’immense majorité des sites du corpus, les pages que l’on dit « optimisées » pour les écrans les plus répandus (soit les écrans 15 pouces avec une définition de 832 x 624 pixels) ne nécessitent pas de faire défiler le document dans le sens de la largeur pour accéder au contenu ; seul, l’accès au bas de la page impose d’utiliser les « ascenseurs » situés sur le côté de la fenêtre ouverte par le logiciel de navigation. Le format vertical, plus fréquemment utilisé dans l’édition, apparaît compte tenu des habitudes et des héritages culturels, plus adapté à la publication de textes écrits et à leur lecture. On sait que les longues lignes sont difficiles à lire, ce qui constitue une des justifications essentielles concernant le choix des journaux imprimés de composer leur texte en colonne.

En second lieu, nous constatons que la longueur des pages d’accueil semble se normaliser ; la moyenne se situe aux environs des deux pages imprimées. La seule page d’accueil à nécessiter quatre feuilles pour l’impression ne constitue pas un résultat significatif sur cette question de longueur des pages-écrans parce qu’il est dû à un dysfonctionnement technique : un problème de compatibilité avec le logiciel de navigation employé. Il est toutefois intéressant de noter l’existence de ces dysfonctionnements ponctuels, apparemment inhérents à la technologie informatique.

Bien entendu, toutes les pages d’accueil au format horizontal dit « à l’italienne » s’impriment sur un seul feuillet de format standard (A4, soit 21 cm sur 29,7 cm). En choisissant pour format celui de l’écran de réception, les éditeurs limitent nécessairement le nombre des informations présentées, celles-ci devant être visibles sans qu’il soit nécessaire de faire défiler la page.

Hormis les quelques cas de pages au format écran, il semble donc exister un format type de construction au sein duquel on distingue aisément l’élément de base de l’édifice qui, tout comme dans la presse imprimée, demeure la colonne. Au nombre de 2 à 4 par page, les colonnes se différencient les unes des autres à la fois par leur aspect formel (taille, couleur, habillage graphique) et par leur contenu (ce point sera vérifié plus loin dans l’analyse)...

Après le niveau de la page d’accueil, l’impression d’une grande hétérogénéité domine même si l’observation confirme les constats précédemment énoncés. Nous choisissons de prendre pour exemple le site washingtonpost.com pour illustrer notre propos. Sur ce site qui propose environ 230 liens en page d’accueil, nous avons de façon systématique, consulté chacune des pages répondant à l’activation d’un lien. Sur l’ensemble, seules 18 pages se présentent dans un format plus large que haut, une dizaine sont verticales mais courtes. Le nombre de pages imprimées se limite le plus souvent à une ou deux et celles qui ne nécessitent qu’un seul feuillet sont relativement nombreuses. Le maximum constaté est de cinq pages ; il s’agit de l’explication détaillée des diverses façons de procéder selon les différentes versions de logiciels de navigation en cours sur le marché, pour faire de la page d’accueil du washingtonpost.com sa page de démarrage sur le réseau Internet. Quant au nombre de colonnes, il va de deux à cinq ; le plus fréquemment, les pages en présentent trois ou quatre. Leur largeur, leur longueur, leur couleur et leur forme (présence de filets, de cadre, d’arrondis etc.) sont extrêmement variables.

Cette observation confirme, malgré une hétérogénéité plus grande, nos constats précédemment énoncés concernant la page d’accueil. Au niveau deux de l’arborescence, les sites qui proposent une page d’accueil aux dimensions de l’écran ne font pas exception à la règle. Les pages du niveau deux deviennent verticales, composées généralement de trois colonnes.

Notons avant de conclure que de nombreuses pages « intérieures » font preuve d’un étonnant déséquilibre graphique477 comme si, le fait de n’apparaître que sur demande, (et nécessairement moins souvent que la page d’accueil), témoigne de l’intérêt préalable du récepteur pour le contenu annoncé, et autorise par conséquent, l’absence de toute exigence en matière d’esthétique...

En conclusion, il apparaît donc, de façon très nette que l’architecture des sites de presse en ligne est dominée par l’axe vertical. Le défilement vertical accentue la perception de l’agencement en colonne. Plus encore qu’à l’écran, les impressions sur papier des pages des sites présentent des constructions parfois très bancales...Les pages d’accueil sont toutefois plus rigoureusement composées que les pages suivantes. La page d’accueil ayant notamment pour mission d’accueillir les lecteurs puisqu’elle constitue généralement leur premier contact avec le site, se doit d’être agréable ; toute l’image du site en dépend.

L’usage des colonnes dessine un espace structuré, divisible et dans lequel chaque espace joue un rôle spécifique. Il s’agit donc désormais, d’apporter quelques précisions concernant le découpage des pages des sites du corpus.

Notes
476.

Le tableau au sein duquel sont consignées les observations du corpus concernant cet aspect de l’analyse est reproduit en annexe 14.

477.

En annexe 14, nous présentons en exemple, une page parmi tant d’autres issue du site du Washington Post.