1. La page d’accueil : des espaces aux fonctions distinctes

En premier lieu nous remarquons que les limites formelles de la page d’accueil se manifestent matériellement par la présence de clôtures latérales constituées par des menus de rubriques écrits le plus souvent sur un fond de couleur, organisés en colonnes étroites, le texte rigoureusement encadré. Cette clôture latérale est plus marquée à gauche qu’à droite.

L’autre clôture est celle du bas de la page, soulignée graphiquement par un filet épais ou coloré, par la répétition d’un menu de rubriques horizontal. Cette clôture de bas de page donne le sentiment de fermer et de signer une fois encore la page. Elle permet tout à la fois de rappeler de l’essentiel (les rubriques importantes) et de stabiliser formellement une construction parfois peu équilibrée.

En guise d’introduction aux résultats de l’observation de l’agencement de l’architecture de la page d’accueil, nous pouvons dire que, d’une façon générale, si l’on devait établir une carte type du site d’information de presse quotidienne, les éléments récurrents seraient les suivants :

  • un logotype identificateur en haut à gauche ou au centre d’un bandeau horizontal (avec ou sans bannière publicitaire) ; quelque chose comme une en-tête,

  • éventuellement attenant à l’en-tête, un menu de rubriques placé horizontalement sous le logotype, en ouverture de contenu,

  • une première colonne à gauche, véritable sommaire des principales rubriques du site,

  • un espace central qui peut compter une ou deux colonnes en moyenne, dans laquelle se concentre un aperçu succinct de l’actualité, avec titre, amorce d’article ou résumé et parfois une photographie... En matière d’information, cet espace constitue, le coeur du site, la partie vivante, illustrée, renouvelée.

  • Une colonne sensée fermer la page à droite, au sein de laquelle l’espace est bien souvent partagé avec les annonceurs. Mêlant à cet endroit informations, publicités, et annonces illustrées de dossiers thématiques, la frontière entre l’espace interne du site et l’extérieur paraît parfois confuse. Moins de rigueur graphique, moins de rigueur concernant l’organisation des contenus ; un espace difficile à gérer où semblent se concentrer les passages possibles vers l’extérieur.

  • Enfin, un espace en bas de page où se trouvent parfois regroupées des listes de liens (sommaires de rubriques, annonceurs etc.) auxquelles s’ajoute ce que nous avons déjà désigné sous le terme de clôture de site.

Si l’on s’attarde maintenant sur chacun des espaces que nous venons de présenter, les résultats de notre observation permettent de préciser et justifier le dessin général introductif :

Au sujet de l’en-tête :

À cet endroit, on retrouve de façon quasiment systématique le logotype du site, un bandeau publicitaire, et très fréquemment un sommaire de rubriques. Cet espace s’étend le plus souvent sur toute la largeur de la page. La visibilité des éléments qui le composent est assez forte même si dans le détail certains textes de menus paraissent parfois un peu denses. L’espace en haut à gauche ainsi que le centre de ce bandeau supérieur se trouvent généralement réservés au logotype. Le choix d’un positionnement en haut et à gauche (correspondant à la première surface à être balayée par le regard si l’on considère notre sens de lecture mais aussi à celle que l’on quitte le plus rapidement) participe, plus encore que la situation centrale au sein l’en-tête, de ce que notait Maurice Mouillaud au sujet du nom-de-journal, à la fois essentiel mais ne cherchant pas nécessairement à être vu :

‘« le nom-de-journal n’est pas une figure, il n’est, il ne veut être qu’un principe de transparence. La publicité n’est plus l’oeil du pouvoir, mais l’oeil que le journal prête à son lecteur ; le pouvoir n’est plus dans un « être vu », mais dans le pouvoir de voir ; et c’est le journal qui le donne au lecteur. Le lecteur regarde le monde, mais cette place n’est pas n’importe laquelle, car « l’oeilleton (...) est un petit trou qui détermine la position de l’observateur » (Le Petit Robert) .486 »’

L’en-tête abrite fréquemment des annonceurs publicitaires. En choisissant de placer une bannière publicitaire en tête de page, les annonceurs s’offrent le meilleur espace en termes de visibilité. En effet, compte tenu de ce que nous avons noté précédemment concernant le format de la page d’accueil, ce que nous nommons l’en-tête ne se trouve presque jamais tronqué, quel que soit l’écran de réception (sauf dans le cas d’écrans de très petite taille).

Le compte des liens présents dans l’en-tête donne pour premier résultat des écarts importants entre les divers sites (de 82 à 0 liens). Mais parmi les huit sites qui proposent le plus grand nombre de liens en en-tête, six utilisent le système des menus déroulants correspondant à une forme visuellement discrète de listes de rubriques.

Ce qui ressort de l’observation de cet espace, c’est qu’il n’existe pas réellement d’homogénéité par-delà l’inévitable présence des logotypes et d’éventuels annonceurs. Certains journaux font le choix d’une en-tête riche en promesses de contenu, d’autres préfèrent les menus verticaux. Pour tous les sites qui ne comptent aucun lien, la seule déduction que l’on puisse faire, c’est qu’ils n’ont pas de bannière publicitaire en tête de page certainement par manque d’annonceurs si l’on considère les sites de Fraternité Matin et de Al Qods, peut-être par choix dans le cas de The New York Daily News. Dans ce dernier cas, la publicité n’est pas réellement absente de la zone supérieure de la page, mais elle prend la forme d’encarts de petite taille en tête des colonnes à gauche et à droite. Quand les pages d’accueil ne présentent qu’un seul lien activable en en-tête, ce dernier correspond généralement au bandeau publicitaire.

Au sujet de la colonne de gauche :

Cet espace compte plus de liens en moyenne que dans l’en-tête. Parmi les huit pages d’accueil à présenter le nombre le plus important de liens, se trouvent six journaux américains et un canadien. Le classement par ordre décroissant auquel nous avons procédé peut être considéré comme un indicateur de la richesse des sites en matière de contenu (ou en tout cas du soin apporté en matière de rubricage). En effet, cette colonne prend généralement la forme d’une liste de rubriques. C’est par essence un espace stable, à la fois repère et guide pour l’utilisateur, espace organisateur du site qui distribue vers un contenu enfoui ou stratifié. C’est un peu le poste de pilotage du site. Tout comme l’en-tête, cet espace fondamental ne doit pas être rendu illisible parce que tronqué à l’affichage. Si une page est trop large pour apparaître à l’écran, c’est la colonne de droite qui sera sacrifiée. Toutefois, la longueur des pages interdit un affichage complet de la colonne. On en déduira tout naturellement, que les rubriques les plus importantes figurent en tête de liste. C’est probablement à cela qu’on peut distinguer certains sites de villes ou portails qui présentent leurs contenus sur le même modèle que la presse imprimée. Dans un cas, on trouvera en tête de colonne des rubriques d’informations pratiques parfois appelées infos-services, autour de la vie locale ; dans un autre, seront privilégiée les rubriques traditionnelles de la presse d’information générale (actualité régionale, nationale et internationale, économie, politique, etc...).

Une remarque concernant les deux journaux qui ne proposent pas de colonne à gauche. Tous deux sont arabes. Pour El Khabar, l’explication se trouve dans le sens de lecture de la langue arabe. Pour le second, Liberté, journal algérien rédigé en français, la colonne de sommaire n’existe pas puisque ce site se présente comme une lettre quotidienne d’information, essentiellement construite autour d’un éditorial.

L’espace central :

Il s’agit de l’espace le plus important en surface. Plus large que les colonnes de droite et de gauche et s’étirant sur toute la longueur de la page d’accueil. (Ce n’est pas forcément le cas des colonnes latérales qui contrairement à la page imprimée du quotidien, peuvent se terminer à mi-hauteur et laisser un espace vide de tout contenu. Ce n’est pas non plus une règle absolue en ce qui concerne les pages qui suivent la page d’accueil). Au besoin, cet espace peut se diviser en deux colonnes ; des filets séparateurs horizontaux créent des subdivisions au sein desquelles sont regroupées des informations traitant d’un même thème (actualité, sport, divertissement...). Pourtant cette surface relativement vaste ne présente pas un nombre de liens massivement plus important que la colonne de gauche (1396 liens au total sur la colonne de gauche le 10 avril 2000 et 1888 le même jour, dans l’espace central de la page). L’explication réside dans le rôle dévolu à cet autre espace de la page d’accueil. Si la colonne de gauche prend généralement la forme d’une liste, soit une succession de mots non articulés, une accumulation de rubriques, promesses abstraites de contenu à venir, parfois organisées et hiérarchisées, le centre offre quant à lui quelques bribes de texte, quelques amorces d’articles, quelques images de l’actualité. Bref, la colonne centrale constitue le lieu ou s’amorce et s’actualise l’écriture de l’information quotidienne. C’est l’espace vivant de la page, le coeur de la page d’accueil.

Comment interpréter les écarts de valeurs du tableau qui vont de 160 à 2 liens activable en zone centrale ? Une fois encore, compte tenu de la composition de notre corpus, beaucoup de diversité se fait jour dans les choix éditoriaux des journaux en matière d’organisation des contenus sur la page d’accueil. Les deux sites du corpus qui totalisent le plus grand nombre de liens dans cet espace (Guardian Unlimited et ireland.com) présentent le sommaire de rubriques qu’ils n’ont pas choisi de placer en colonne de gauche. Pour les suivants, ce sont les listes de titres d’articles qui expliquent le nombre important de liens. Les sites en fin de tableau, qui ne proposent que très peu de liens, présentent un contenu informationnel très pauvre (La Provence) ou font le choix d’afficher une ou deux informations, relativement développées voire illustrées (La Voix du Nord).

Notes
486.

MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, Le journal quotidien, op. cit., p. 111