a) Les illustrations

Christian Vandendorpe affirme que la tabularité des documents hypertextuels participe d’une montée en puissance du visuel, d’une « spatialisation de l’information »496. Il ajoute plus concrètement, que :

‘« les pages d’accueil des journaux et des magazines sur le Web se différencient maintenant à peine de leurs équivalents imprimés et font une large place aux illustrations [...].»497

Pour vérifier la validité de cette affirmation qu’une observation rapide permet toutefois de mettre en doute, nous nous sommes intéressée aux images en page d’accueil des sites de notre corpus. Nous avons distingué les photographies des dessins ou pictogrammes et vérifié à quels usages sont réservés chacune de ces catégories d’images. Nous avons scrupuleusement noté le nombre des illustrations, leur taille, leur emplacement, le travail d’animation dont elles peuvent faire l’objet et les liens qu’elles peuvent dissimuler. Nous ne nous sommes intéressée qu’accessoirement au contenu de ces images. Dans l’ensemble de ce travail nous avons fait le choix de privilégier la périphérie et l’apparence sans entrer véritablement à l’intérieur des textes comme des images.

Comme chaque fois que l’on s’intéresse à l’image des questions de définitions et de limites se posent. Nous avons donc dû établir un certain nombre de règles pour procéder à ce travail d’observation mais devant chaque situation particulière nous avons dû préciser un peu plus notre façon de procéder. Voici donc les règles que nous avons fixées pour l’étude des illustrations et quelques-unes des remarques que ce travail d’observation systématique appelle.

  • Dans l’estimation du format, seules sont considérées les illustrations, et non le texte qui les accompagne. Quatre formats ont été arrêtés :
    • - un grand format qui concerne toutes les images de taille supérieure à la largeur d’une colonne (correspond à l’abréviation F1 dans nos tableaux placés en annexe 15) ;

    • - un format moyen correspondant aux images dont les dimensions sont justifiées sur la largeur d’une colonne (F2) ;

    • - un format inférieur à la largeur d’une colonne, proche de celui d’un timbre poste standard (F3) ;

    • - Un très petit format qui ne concerne que les images dont la hauteur est au moins égale à une ligne de texte en capitales (F4).

    En l’absence de tout moyen de mesure véritablement fiable (affichage différent d’un écran à l’autre, modification de la mise en page à l’impression, etc.) ces catégories, certes peu définies, correspondent à l’impression produite par l’illustration, sa mise en valeur, sa visibilité, etc. Ainsi, deux illustrations objectivement de même taille pourront être considérées différemment si l’une est placée en fond sous une typographie et l’autre encadrée et clairement repérable. En conclusion, les illustrations peu mises en valeur seront rétrogradées vers la catégorie de format inférieure à leur taille réelle.
  • Dans le cas de photographies ou de dessins présentés pêle-mêle, une seule illustration est comptabilisée et le format attribué concerne l’ensemble ainsi constitué.

  • Lorsque la Une du journal imprimé ou une partie de celle-ci est représentée, le format considéré est celui des images et du texte dans leur ensemble. La Une est ainsi envisagée comme une grande image sans que soit distinguée chaque image qui la compose.

  • Quand une publicité animée présente successivement deux ou trois illustrations pour le même message, une seule image est comptabilisée ; seule la taille la plus importante de ces images successives est retenue.

  • Compte tenu de la petite taille de nombreuses images, il est parfois difficile de déterminer s’il s’agit de photographies ou de dessins. En cas de doute, tout traitement réaliste sera considéré comme étant de « nature photographique ».

  • La catégorie dessin comprend bien sûr les dessins mais aussi les pictogrammes, les graphiques en tant que représentation visuelle d’une réalité ou représentation symbolique d’une rubrique (bourse, finance, visualisation des résultats d’un sondage).

  • L’observation présente s’intéresse uniquement aux éléments visuels, figuratifs ; ne sont donc pas comptabilisés tous les jeux graphiques sur les typographies (lettrines et logotypes), fonds et formes colorés, etc.

  • Pour comptabiliser certaines images, essentiellement publicitaires, qui n’apparaissent pas toujours sur nos enregistrements (de nombreuses bannières n’appartiennent pas à la page ; elles sont envoyées par les régies qui gèrent les espaces publicitaires), nous avons eu recours aux feuillets imprimés lors de la constitution du corpus. Malgré l’impossible vérification sur écran, les bannières publicitaires sont considérées par principe, comme des liens activables. (De façon prévisible, sur l’ensemble des fichiers étudiés, la quasi-totalité des images publicitaires cachent la présence d’un lien activable permettant l’accès au site de l’annonceur). Cependant, en cas de travail sur les feuillets imprimés, les annonces publicitaires sont considérées par défaut, comme des images fixes pour ne pas leur ajouter un attribut alors qu’aucune vérification n’est possible. Par ailleurs, dans le cas de publicités tournantes, si la bannière imprimée est différente de celle qui a été enregistrée, nous ne considérons que celle qui apparaît dans le fichier informatique.

D’une façon générale, nous avons privilégié, le travail sur écran qui seul permet de repérer de façon fiable la présence de liens activables ou d’animations.

Nous présentons nos résultats en trois temps correspondant à trois perspectives distinctes : une première impression d’ensemble, une approche comparative des usages respectifs des photographies et des dessins, et enfin, une étude du traitement par l’image de chaque grande catégorie de contenu repérée en page d’accueil (actualité, rubriques et dossiers, publicité). Les tableaux de données correspondant aux graphiques présentés dans le texte peuvent être consultés en annexe 15.

D’un point de vue général, nous remarquons la relative faiblesse du nombre des illustrations en page d’accueil (sur l’ensemble des pages enregistrées le 10 avril 2000, nous ne dénombrons que 276 images, tous genres confondus, alors que le décompte des liens activables se monte à 5505 ce même jour). À cette première remarque, on pourrait aisément rétorquer que l’impact des images ne s’évalue pas nécessairement en termes quantitatifs.

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Effectivement, mais il convient d’ajouter que la proportion importante d’images de petit format donne l’impression que ces pages d’accueil sont particulièrement peu illustrées (nos catégories F3 et F4 représentent 64,3% du nombre total d’images). L’immense majorité est constituée d’images fixes (84%), qui sont le plus souvent des liens activables (70%). Ces premières remarques d’ordre général contredisent donc l’affirmation de Christian Vandendorpe selon laquelle il serait fait une large place aux illustrations en page d’accueil.

Si l’observation se précise, distinguant désormais photographies et dessins, on note que les photographies sont nettement préférées aux dessins pour illustrer les articles d’information annoncés en page d’accueil (à plus de 84,5%) et que leurs formats de prédilection sont sensiblement plus importants que ceux des dessins.

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Ceci nous invite à penser que la photographie est encore présentée par les éditeurs comme un moyen d’authentification, comme la preuve de la véracité des informations développées dans les articles. Par ailleurs, les formats relativement importants des images photographiques s’expliquent notamment par le fait qu’elles supportent difficilement la réduction : même quand elle touche au symbolique, l’épure est une dimension généralement absente de la photographie de presse.

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Fortement réduite, la photographie en devient « illisible » perdant de fait tout intérêt, toute chance de participer à cet « effet de réel » et ce « faire croire » qu’analyse Jean-François Tétu498.

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Les dessins sont quant à eux, tout particulièrement destinés à accompagner les titres de rubriques et de dossiers ; en second lieu, ils sont utilisés par la publicité. Généralement de petite taille, (81,4% des dessins correspondent aux formats 3 et 4, ce qui signifie que leurs dimensions sont inférieures à la largeur d’une colonne de texte), ils ne possèdent que peu d’intérêt informatif. Ils semblent plutôt constituer à une sorte de ponctuation colorée, une pause visuelle « décorative » dans ces pages très denses en texte

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Si à présent, on observe l’usage des images à partir des principaux genres en présence sur la page d’accueil des sites du corpus (information, rubrique et dossier, publicité), on vérifie la préférence photographique de l’information ; on vérifie aussi notre constat concernant l’architecture des pages d’accueil qui réserve l’espace central à l’actualité et donc à ses illustrations. On remarque aussi que les dessins qui accompagnent souvent les titres de rubriques et de dossiers trouvent tout naturellement place dans les colonnes latérales dont nous avions noté qu’elles sont leur emplacement de prédilection. C’est dans les bannières publicitaires que l’on trouve le plus d’images animées. La plupart de ces images sont aussi des liens activables (celles qui ne permettent pas d’activer un lien sont généralement associées à un texte actif).

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Les images publicitas sont réparties dans tous les espaces de la page d’accueil sans que leur format et leur nombre soient nécessairement très importants. Représentant un peu plus d’un quart de l’ensemble des images en pages d’accueil (26,6%), et majoritairement de petite taille (76,7% se situent dans les catégories de format 3 et 4, inférieures à la largeur d’une colonne de texte), ces dernières ont cependant l’avantage, en termes d’impact, d’être souvent animées. Il est à noter qu’il est souvent difficile de déterminer le statut de certains encarts illustrés : rubrique ou publicité ? Leur traitement graphique ne permet pas de les distinguer. Seule, la composition de l’adresse, la teneur particulière du message ou la connaissance préalable d’une marque ou d’un annonceur peut permettre d’affirmer qu’un encadré illustré est un espace publicitaire. L’éditeur ne semble pas contraint de préciser la nature des informations qu’il diffuse.

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Avant de conclure, notons qu’en pages intérieures la raréfaction des images est un phénomène récurrent sur l’ensemble des pages des sites du corpus. La plupart des sites n’illustrent même pas les articles d’informations d’actualité et se contentent d’allouer aux images des pages qui leur sont spécifiquement dédiées. C’est le cas par exemple dans Le Monde Interactif, où la rubrique « image du jour » permet de découvrir une photographie d’agence sans que celle-ci ait nécessairement de liens avec l’actualité immédiate ou les informations annoncées en page d’accueil. Même cas de figure avec le site du New York Times qui présente une rubrique « photos » ou avec celui du journal El País qui rassemble dans sa rubrique « viñetas » en pages intérieures, les dessins humoristiques parus dans l’édition imprimée sans même proposer un lien hypertexte pour accéder à l’information qu’ils illustrent... Il se confirme que les journaux en ligne présentent un niveau supplémentaire en matière de fragmentation...

En conclusion, il apparaît nettement que les sites web des quotidiens restent sur les codes de la presse imprimée en privilégiant l’image fixe et plus spécifiquement la photographie pour illustrer les informations d’actualité annoncées en page d’accueil. Les rubriques ou les dossiers, plus proches de l’univers de la presse magazine et conçus pour rester plus longtemps « à l’affiche », utilisent plus volontiers le dessin, comme un artifice graphique, comme une ponctuation esthétique. Quant à la publicité, elle se bat pour limiter les problèmes de visibilités inhérents au dispositif en faisant un usage relativement important d’animation.

Il apparaît néanmoins, que la faible présence d’images en page d’accueil tant en nombre qu’en taille participe d’un certain nivellement visuel. En apparence au moins, rien ne vient troubler la monotonie que crée la densité des textes ; peu de ruptures, peu de contrastes en page d’accueil, auquel s’ajoute une relative stabilité des éléments qui la compose. Ainsi, les publicités bénéficient d’emplacements prédéfinis et par conséquent fixes, le renouvellement des images se faisant ensuite de façon automatique. De même, les images qui viennent illustrer des rubriques généralement stables n’ont aucune raison d’être modifiées ou déplacées. En dernier lieu, si les images qui illustrent l’actualité sont renouvelées, elles ne semblent pas non plus devoir beaucoup être déplacées, comme si la maquette était une sorte de moule, de cadre programmé que l’on ne doit pas modifier. D’un jour sur l’autre, on se contente de vider certains espaces pour les remplir avec d’autres nouvelles... (la question du renouvellement des informations est abordée plus spécifiquement dans la suite de ce travail).

Ainsi, l’étude des illustrations de la page d’accueil tend à renforcer notre hypothèse selon laquelle les éditions en ligne présentent un niveau d’abstraction supplémentaire par rapport à la presse imprimée notamment. Abstraction des listes, constituées de mots courts, généraux, pas ou peu d’illustration... Contrairement à la Une d’un quotidien, sur la page d’accueil d’un journal sur Internet, l’actualité ne s’offre pas au regard de façon immédiate, grâce à la présence d’une image en grand format par exemple, ou la lecture d’un titre en gros caractères. Pas d’émotion donc en découvrant la page d’accueil d’un journal en ligne, mais à l’inverse, un travail intellectuel de repérage et de construction du sens qui incombe, pour une part importante, au lecteur.

Notes
496.

VANDENDORPE Christian, Du papyrus à l’hypertexte, op. cit., p. 12

497.

VANDENDORPE Christian, ibid, p. 66

498.

MOUILLAUD Maurice , TÉTU Jean-François, Le journal quotidien, op. cit., p. 163-172