b) La mise en forme des titres : couleurs et typographies

Le choix de la police de caractères d’un quotidien est un acte extrêmement important, considéré par les éditeurs eux-mêmes comme un des moyens d’affirmer l’identité du titre. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs commandé la création de caractères typographiques pour leur usage, répondant à un cahier des charges spécifique. Ces fontes typographiques portent souvent le nom du titre de presse qui en fut le commanditaire : le Monde, le Times...

Compte tenu de ce que nous avons noté concernant le dispositif technique et la nécessité de proposer des contenus potentiellement lisibles par le plus grand nombre sans que divers problèmes de compatibilité n’interfèrent, les éditeurs de journaux en ligne sont contraints de travailler à partir des polices de caractères reconnues par tous les ordinateurs sur le marché. La conséquence est, bien entendu, un formidable nivellement, une homogénéisation qui prive les titres d’un élément essentiel de leur identité visuelle sur le papier.

Par-delà cette écriture normalisée sur les sites de la presse en ligne, et puisque l’information est peu illustrée, on peut imaginer que les éditeurs profitent des avantages du dispositif technique pour mettre en forme l’information à peu de frais grâce à l’usage de la couleur et les variations typographiques (graisses, corps) grandement facilitées par l’informatique (calibrage automatique).

En réalité, à quelques exceptions près, l’immense majorité des pages d’accueil ne propose pas réellement de titres à moins de considérer qu’une phrase sur deux ou trois lignes, écrite dans un corps très légèrement supérieur à celui du texte qui suit, soulignée, parfois en couleur constituent des signes suffisamment distinctifs pour décider que nous sommes en présence de titres. Seule la page d’accueil du New York Times propose peut-être des titres, reconnaissables à la taille des caractères qui contraste avec la suite des textes, participant de « la scansion typographique et spatiale des titres »499 dont parle Maurice Mouillaud.

Si l’on considère les pages d’accueil sorties d’une imprimante en noir et blanc, on imagine que les sites de quelques autres journaux (La Voix du Nord ou Le Parisien par exemple) tentent de reproduire les formes de titrage du journal papier. Certes, il n’est point question de retrouver les subtilités des divers niveaux de la titraille des journaux imprimés (les surtitres, titres, sous-titres, accroches, intertitres) mais le choix d’un petit nombre d’informations en tête de page, quelques mots écrits plus gros et parfois même la présence d’une photographie peuvent laisser penser que l’on retrouve là une forme de mise en valeur, une hiérarchisation de l’information. Parce que c’est en cela que la mise en forme participe de l’énonciation éditoriale. Comme le rappelle Jean-François Tétu :

‘« Dans le titre, le journal indique deux choses : il informe sur un contenu, et il montre qu’il informe. Dans le titre, séparé de l’article, typographiquement, spatialement, graphiquement, le journal brandit sa capacité à pouvoir dire »500. ’

Or, si l’on fait l’effort d’ouvrir le fichier informatique qui correspond aux feuillets imprimés que l’on se plait à considérer comme des variantes de l’édition imprimée, on découvre à quel point la couleur, loin de participer à la mise en valeur d’un énoncé peut au contraire contribuer à créer un brouillage énonciatif majeur. Une fois encore, une des règles fondamentale de la mise en page qui consiste à volontairement limiter le nombre de variables graphiques pour éviter un nivellement général par trop de signes mêlés et exploités sans discernement semble ne pas être connue ou respectée par les personnes en charge de la mise en forme des sites de la presse en ligne.

L’absence de titrage ou plus généralement de mise en valeur de l’information sur les sites web de la presse quotidienne en page d’accueil comme en pages « intérieures » est moins anecdotique qu’il y paraît de prime abord. En effet, nous partageons les conclusions de Jean-François Tétu sur la presse imprimée, quand il affirme que :

‘« la nature même de l’information : c’est une différence. L’article, ou le titre, qui avaient retenu l’attention du lecteur constituaient précisément, par rapport à leur entourage immédiat, cette différence. »501

Dès lors, en l’absence de rupture graphique pour manifester cette différence qui fonde l’information des journaux quotidiens, comment définir les « contenus » de leurs éditions en ligne ? L’usage même de ce terme peu défini en dit long sur l’indécidabilité de la nature de ce qui s’affiche sur les écrans...

Pour répondre à cette interrogation qui resurgit dans ce travail, nous avons choisi de découvrir ce que l’éditeur privilégie dans la page d’accueil, considérant que se trouve inscrit à cet endroit, et plus précisément dans ce qui s’affiche à l’écran sans qu’il soit nécessaire de faire défiler la page, l’essentiel de son projet éditorial.

Notes
499.

MOUILLAUD Maurice, « Le système des journaux », Langages, n°11, sept. 1968, p. 80

500.

MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, Le journal quotidien, op. cit., p. 66

501.

MOUILLAUD Maurice, TÉTU Jean-François, ibid, p. 56