Le postulat qui sous-tend cette étude est le suivant : puisque les document sur le Web souffrent d’un manque critique de visibilité (faible surface utile des écrans et nécessité de demander l’affichage pour qu’apparaissent les pages), on est en droit de penser que les éléments les plus importants aux yeux des éditeurs se donnent à voir à l’ouverture de la page d’accueil sans qu’il soit nécessaire de la faire défiler à l’écran. Concrètement, il s’agit, bien entendu, de la partie supérieure de la page d’accueil, constituée de l’en-tête, de l’amorce de la colonne de gauche et de l’espace central et parfois de la colonne de droite. Pour procéder à l’observation de ce qui s’affiche en priorité et par souci de rigueur scientifique, nous avons établi un certain nombre de règles.
En premier lieu, il est fondamental de travailler à partir de documents recueillis et présentés de façon rigoureusement identique. Compte tenu des variations possibles en termes d’affichage et parce qu’il n’était pas nécessaire de travailler sur les liens hypertextes des pages, nous avons préféré utiliser les impressions de photographies d’écran réalisées pendant la constitution du corpus, durant la même journée, à partir du même ordinateur, sans aucune modification des principaux paramètres d’impression502.
Nous avons défini plusieurs types d’items dont nous avons noté l’affichage prioritaire en page d’accueil.
En premier lieu, les principaux éléments d’identification et de référence à l’émetteur : cela concerne les logotypes du journal imprimé, du site Web, du groupe de communication et les éventuelles représentations graphiques ou photographiques de l’édition imprimée (reproduction de la Une, dessin stylisé du quotidien).
Ensuite, nous avons noté la présence des outils mis à la disposition des usagers pour se repérer dans le site et rechercher des informations. Ces outils témoignent du travail des éditeurs en matière d’organisation des contenus et manifestent l’intégration dans l’offre de leurs représentations en termes d’usages. Dans cette perspective, nous cherchons les signes indicateurs de la situation de la page consultée par rapport à l’ensemble du journal en ligne, les moteurs de recherche interne au site ou sur l’ensemble du Web et enfin, tous les genres de menus que nous connaissons (horizontaux, verticaux et menus déroulants).
Troisième point observé, la présence publicitaire sous forme d’encart ou de bannière. La visibilité étant la dimension la plus recherchée par les annonceurs mais aussi rare et donc précieuse sur le Web, l’importance accordée aux espaces publicitaires est un indicateur significatif de leur poids dans la balance économique de la presse en ligne.
En dernier lieu, nous nous sommes intéressée au traitement des informations accessibles dès l’affichage à l’écran de la page d’accueil selon deux modalités énonciatives distinctes : montrer (l’image) ou raconter (le texte).
À l’heure de la confrontation avec la réalité des pages du corpus, tous ces points se révèlent plus délicats à traiter qu’on ne l’imagine de prime abord. De fait, il s’est avéré nécessaire de prendre diverses décisions de façon à poursuivre dans la voie de la rigueur que nous désirons. Voici quelques précisions au sujet des choix et définitions que nous avons été contrainte d’adopter.
Il a été décidé que :
Nous ne prenons en considération que les éléments opérationnels et signifiants dès leur affichage à l’écran. Ainsi, un logotype apparaît immédiatement comme une signature, un menu et une annonce publicitaire sont repérables au premier coup d’oeil. L’offre des menus n’est donc pas détaillée ; de même, concernant les outils de recherche, ne sont considérées que les possibilités de recherche offertes dès la page d’accueil et non les rubriques recherche qui apparaissent dans la fenêtre à l’ouverture mais qui nécessitent d’appeler la page du niveau suivant pour accéder au menu recherche.
Concernant le repérage dans le site : il s’agit de noter les aides permettant un meilleur repérage du statut de la page et de son emplacement par rapport à l’ensemble du site. Les indices visuels que constituent par exemple le discret système des onglets qui apparaissent soit au premier plan soit en arrière plan, ou le changement de couleur de la rubrique concernée dans le menu par exemple, nécessitent pour être compris, une certaine habitude des codes graphiques en usages sur le site. Nous prenons donc en considération uniquement les mentions explicites concernant la situation de la page consultée au sein du site.
Concernant les menus : pour être considérés comme tels dans notre observation, ces derniers doivent présenter plusieurs rubriques successives (au moins quatre). Les colonnes à gauche et à droite du site du journal Irish Independent par exemple, présentent des rubriques dont la forme fait plus penser à des encarts publicitaires qu’à des rubriques (présence de nombreuses animations, aucune homogénéité dans la forme si ce n’est un format carré, ...). Le statut de ces offres reste relativement indéfini au premier regard : annonceurs, partenaires hébergés, rubriques ?... En l’absence de signes évidents permettant de déterminer avec précision le statut de ces encarts, nous avons préféré ne pas les intégrer à nos comptes.
Par ailleurs, nous distinguons les menus de rubriques et la présentation successive d’informations, de brèves, etc. Cependant, lorsque dans ces listes, les informations sont précédées du nom de la rubrique et qu’il est possible d’en noter au moins quatre différentes, nous considèrerons qu’il s’agit là d’une forme détaillée de menu, un sommaire en quelque sorte. C’est la présentation structurée du contenu qui nous intéresse dans ces sommaires, par conséquent, une liste d’informations surplombée du seul terme « national » par exemple ne constitue pas, à nos yeux, un menu du même ordre que les menus de rubriques. Il s’agit simplement de la liste détaillée du contenu d’une rubrique particulière.
Concernant la publicité : ce que nous entendons par « encart » correspond aux espaces publicitaires de plus petite taille que les bannières. La distinction entre une rubrique ou un dossier thématique et un encart est parfois délicate, notamment lorsque les éditeurs des journaux en ligne utilisent les mêmes codes graphiques que les publicitaires (animation, couleurs vives), mais, dans la mesure du possible, nous tentons de distinguer rubriques et publicités de façon à évaluer l’importance accordée aux annonceurs. Pour cette raison, ne sont pas pris en compte les encarts auto-promotionnels des sites pour venter un service, une rubrique hebdomadaire, un forum, souvent présentés en lieux et places des publicités pour masquer l’absence ponctuelle d’annonceurs.
Concernant ce que nous appelons les « informations textuelles » : celles-ci correspondent à toutes les informations présentées sous la forme d’un lien hypertexte seul ou accompagné d’un bref commentaire (résumé, amorce d’article) voire même, de quelques lignes de texte non activable. Par conséquent, nous ne prenons pas en considération les rubriques, décrites ou promues dans lesquelles aucune information en dehors de l’existence de la rubrique n’apparaît.
Ce que nous appelons les « informations en images » concerne toutes les formes de traitement de l’information par l’image, photographies ou dessins (ce peut être par exemple un dessin associé à la rubrique « météo » qui illustre les prévisions pour la journée). Cependant, les images devront au moins correspondre à notre définition du format 3 pour être considérées dans cette étude. Le format en dessous, proche du pictogramme est peu perceptible dans une page et ne présente pas réellement d’intérêt informatif. Par ailleurs, lorsque la photographie n’est pas entière dans la fenêtre, nous considérons que l’image est porteuse d’informations si il est possible de déterminer ce qu’elle représente.
Précisons que dans le cas des sites pour lesquels il nous est impossible de comprendre, voire même de deviner la signification du langage employé, nous avons pu cependant, déterminer la part des informations, des rubriques et des publicités. Pour cela, nous avons travaillé sur les fichiers enregistrés ; en effet, lorsque l’on promène le curseur sur les liens activables de la page, s’affichent des adresses en anglais (site de Alquds Newspaper) ou en français (site de El Khabar) qui permettent de déduire l’existence d’un menu, la présence d’une information, etc...
L’analyse des données, présentées sur les deux graphiques ci-joints, nous permet de noter que la partie supérieure de la page d’accueil des sites du corpus réserve au moins deux emplacements à la publicité (2,07 en moyenne), affiche un ou deux logotypes (1,47 en moyenne), au moins deux menus (2,03 en moyenne), entre cinq et six informations textuelles (5,42 en moyenne), mais pas nécessairement d’images pour illustrer l’actualité (0,79 en moyenne).
Il faut cependant nuancer ces premiers résultats. Ainsi, les images qui illustrent l’actualité sont au nombre de 74 sur l’ensemble des pages d’accueil du corpus. Dans notre étude de l’affichage « prioritaire », nous en avons dénombré 41. Même si ces chiffres paraissent bien faibles, il faut noter cependant que la surface étudiée représente environ un quart de la surface d’une page d’accueil. (Nos photographies d’écrans couvrent approximativement la moitié d’un feuillet imprimé à partir du fichier, or, en moyenne, les pages d’accueil nécessitent deux feuilles pour leur impression). Par conséquent, avec 41 images, soit 55,4% du nombre total d’images illustrant l’actualité en page d’accueil, cette surface qui se donne à voir immédiatement constitue un espace où l’information, plus qu’ailleurs, est illustrée.
C’est aussi à cet endroit que se concentrent quasiment tous les menus ou en tout cas l’amorce des menus de rubriques. Nous avions noté dans notre étude de l’architecture de la page d’accueil que l’information prend principalement place dans l’espace central de la page. Compte tenu de la faible surface laissée disponible par les divers menus, cadres et objets graphiques des interfaces du dispositif technique auxquels il faut ajouter les menus, logotypes et publicités des pages d’accueil des sites étudiés, on peut déduire de notre observation que cet espace présente une très forte densité d’informations. Autour de l’espace central, l’encadrement de l’information se répartit presque également entre les menus, les logotypes et la publicité.
Il faut aussi noter, qu’à notre surprise, il n’existe que peu de repères pour situer la page consultée dans la globalité du site. Une explication possible à cet état de fait est que les éditeurs imaginent probablement que l’usager qui affiche la page d’accueil d’un site ne le fait pas par hasard et que, par conséquent, il sait se situer. Néanmoins, certaines personnes peuvent afficher la page d’accueil d’un site de presse par le jeu de recherches sur le Web, ou de liens disposés sur des sites partenaires, ou encore à partir de l’offre de certains « agrégateurs de contenus »... Ne pas indiquer clairement le statut de la page d’accueil, c’est omettre que les pages web sont en réalité des fichiers autonomes, chacun étant doté d’une adresse particulière. C’est aussi, d’une certaine manière, nier l’importance de la globalité du site et de l’intérêt qu’une appréciation d’ensemble peut représenter pour l’usager. Cette absence de perception globale est, bien entendu, le fait du dispositif ; mais, l’absence d’outils, de système de marquage qui permettent à l’internaute d’évaluer la place de la page consultée dans l’arborescence signifie qu’un site d’information ne constitue pas un tout homogène. En 1996, certains responsables du développement multimédia de journaux français nous avaient confié leurs réticences vis-à-vis de l’information proposée par fragment par opposition à l’ensemble, au « lot » que constitue un exemplaire du quotidien imprimé. On peut donc s’interroger à nouveau sur la nature de ce journal en ligne : journal ou base de donnée ? L’instance émettrice remplit-elle toujours une fonction éditoriale ou les responsables des sites de presse sont-ils en réalité, les gestionnaires modernes de bases de données régulièrement actualisées et désormais accessibles au grand public ? Si tel est le cas, ce qui importe n’est pas de donner des outils de repérage dans l’arborescence du site mais des outils qui témoignent d’une organisation claire des contenus permettant à l’internaute d’accéder le plus efficacement possible à l’information recherchée. La suite de notre travail concernant le renouvellement de l’information et la gestion du territoire éditorial apporte des réponses à ces questions essentielles.
Avant de conclure d’une façon générale, il nous semble intéressant de noter quelques stratégies un peu à la marge et de ce fait, remarquables.
Ainsi, deux journaux détiennent sur leur site le record de densité en matière d’informations présentées sous forme de texte. Les sites du Monde et de Irish Times proposent respectivement 16 et 14 informations dans cette petite partie de la page d’accueil. On imagine la petite taille et l’homogénéité des caractères qui prive le texte de tout rythme, de toute séduction visuelle ; on imagine aussi l’absence de « blanc » qui empêche le texte de respirer et lui ôte une part de son potentiel d’expressivité visuelle503.
En matière de publicité, on note l’absence d’annonces, en cet espace privilégié que nous qualifions de prioritaire, sur les pages d’accueil de deux journaux de référence en matière d’informations d’actualité générale : Die Welt et Le Temps. Ceci peut constituer un indicateur du refus de ces journaux de partager avec des annonceurs cet emplacement privilégié. Un autre site fait exception à la règle et ne propose aucune annonce publicitaire sur toute la surface de la page d’accueil. Il s’agit du site de Fraternité Matin. Dans ce cas précis, on peut supposer que la visibilité offerte par le site paraît trop marginale aux annonceurs compte tenu du faible taux d’équipement de la population de la plupart des pays d’Afrique Noire.
Notons par ailleurs, que la construction graphique de la page d’accueil de certains sites du corpus confirme l’existence de cet espace prioritaire. Par exemple, les pages d’accueil des sites du Washington Post et du Jerusalem Post placent une bannière en bas de cet espace, dessinant ainsi sa limite inférieure. Cette pratique présente l’avantage de ne pas associer trop étroitement le nom du site avec les annonceurs504.
À l’inverse, certains journaux semblent adopter envers les annonceurs, une politique d’accueil sans réserve. Ainsi, tous les sites qui présentent plusieurs petits encarts en tête de la page d’accueil (jusqu’à quatre) ne le font pas en lieu et place d’une bannière. Bien au contraire, ces pages proposent donc à la vue de celui qui demande l’affichage de leur page d’accueil une bannière à laquelle il faut ajouter les trois ou quatre encarts... De là à conclure que l’annonceur est roi et passe bien avant l’information, il n’y a qu’un pas...
En conclusion, il semble que quatre objectifs fondamentaux se disputent l’espace de cette fenêtre à l’ouverture de la page d’accueil.
signer : avec la présence des logotypes (site, journal imprimé, voire groupe de communication, la représentation de la Une de l’imprimé, etc...) ;
assurer une visibilité importante aux annonceurs avec la présence quasi-systématique d’emplacements publicitaires ;
promettre quantité, organisation et aide considérant les nombreuses amorces de sommaires perceptibles, les possibilités de recherche dans le site ou sur le Web.
Attirer, retenir l’attention dans la mesure où cet espace présente les rares photographies qui illustrent l’actualité, les titres et les amorces d’articles, les brèves et flashes de dernière minute, les rubriques utiles localement et quotidiennement comme la météo ou les informations sur le trafic routier.
Cet espace qui apparaît donc comme le plus illustré de la page avec la présence des logotypes, des bannières publicitaires et des photographies de l’actualité est aussi celui dans lequel l’actualisation des informations est le plus perceptible. En effet, le renouvellement des images est plus marquant qu’une simple ligne de texte que l’on change. La présence de brèves indique aussi, qu’à cet endroit, les informations sont fréquemment actualisées.
Parce que tous les sites du corpus sont des émanations de journaux de la presse quotidienne, parce qu’aussi, nous avons constaté le déficit des sites web en matière de valorisation de l’événement par rapport à leur parent imprimé, parce qu’enfin, il a souvent été question de la presse en ligne comme un moyen de proposer de l’information en temps réel et de palier le handicap d’une présentation des faits plusieurs heures après que les rédactions en ont connaissance : pour toutes ces raisons le moment est venu de nous intéresser aux questions de temporalité sur les sites de la presse en ligne.
Un exemple de photographie d’écran ainsi que le tableau des données concernant cet affichage prioritaire de la page d’accueil peuvent être consultés en annexe 16.
Voir les développements d’Emmanuël Souchier concernant ce qu’il nomme “l’image du texte”.
Les photographies d’écran représentant la partie supérieure de la page d’accueil de ces deux sites telle qu’elle s’affiche sont proposées en annexe 16.