IV. Les temporalités des sites de la presse quotidienne

Dans la presse imprimée, les relations que le journal entretient avec les questions de temporalités sont d’abord perceptibles à travers la périodicité de parution. D’une certaine manière, les rendez-vous programmés de la télévision fonctionnent aussi sur le mode d’un temps qui revient régulièrement et que l’on attend. L’avènement récent de ce qu’on a appelé l’information continue introduit une nouveauté en termes de rythme de diffusion avec la notion de flux. En dehors de cette temporalité de parution ou d’apparition en quelque sorte, la question du temps (à comprendre cette fois comme délai) qui sépare la présentation de l’information du moment où « cela se passe » distingue radicalement la presse imprimée et des médias radio ou télédiffusés dont le dispositif technique autorise le direct. On a donc tendance à opposer la presse imprimée et les médias télédiffusés. Ainsi, on considère que la presse (même quand elle ne le souhaite pas) met l’événement à distance du fait de sa parution nécessairement différée, du fait aussi des spécificités de sa mise en forme à partir de textes et d’images fixes assemblés de façon mosaïque, du fait enfin des processus cognitifs à mettre en oeuvre pour accéder aux contenus ; la lecture nécessite des compétences et un travail intellectuel peu propice à un rapport fusionnel avec l’information. À l’inverse, la télévision, (plus encore que la radio qui impose d’imaginer l’événement, de le reconstituer à partir des commentaires et indices sonores transmis par le journaliste505), la télévision donc, cherche à produire un effet de proximité et contact avec le présentateur (c’est le fameux axe y – y développé par Eliseo Veron506) comme avec l’événement auquel la magie du direct nous fait assister. Le direct cherche à annuler toute distance par l’immédiateté, la fascination pour les images à laquelle il faut ajouter le son qui installe le spectateur dans un déroulement temporel au rythme imposé, celui du flux de l’oralité.

Entre les rythmes réguliers de la périodicité et le flux programmé, entre la mise en relief de l’événement à la Une et le contact fusionnel que semble offrir le direct télévisuel, comment situer la presse en ligne ? Comment le journal en ligne signifie-t-il son rapport au temps et à l’événement ? Un site web peut-il constituer un nouveau média pour dire et diffuser l’information d’actualité ? Compte tenu de la capacité de stockage spécifique au dispositif, comment s’articule le temps qui passe, celui qui surgit, celui qui dure et celui qui s’est écoulé ?...

Compte tenu de notre perspective, plusieurs fois précisée, nous aborderons la question du rapport au temps de la presse en ligne à partir d’une étude des formes, envisagées sur le mode de l’apparence visuelle et celui de la structuration. Nous laisserons donc de côté les questions qui nécessitent d’entrer dans l’énoncé ou le récit. Consciente qu’il est difficile d’écarter toute dimension sémantique d’un travail sur la temporalité, nous nous efforçons cependant de circonscrire notre terrain d’investigation aux seuls marqueurs temporels qui ne nécessitent pas d’incursion dans les questions de syntaxe. Ainsi, nous envisageons l’étude des temporalités de la presse en ligne à partir de deux axes principaux :

En premier lieu nous nous interrogeons sur les représentations du temps qui s’écoule à partir du renouvellement perpétuel de l’information que cela suppose. Et en second lieu, nous souhaitons éclaircir la question de l’articulation, dans les sites Web de la presse quotidienne, des signes du flux avec les signes du stock.

Notes
505.

Voir sur ce sujet le texte de Jean-François TÉTU, « La radio où la maîtrise du temps » in Études de communication, n° 15, “De la Gazette à CNN, les gestes d’informer”, Lille, université Lille III, 1994 p. 75-89

506.

VERON Eliseo, “Il est là, je le vois, il me parle”, Communications, n° 38, 1983, p. 98-120