Concernant les pages dites « internes » :

En premier lieu, nous constatons l’écrasante majorité des pages « maison » par rapport aux éventuelles ouvertures sur l’extérieur. Ainsi, les pages dites internes ajoutées à celles considérées comme des extensions représentent 62% des pages accessibles à partir de la page d’accueil du site de USA Today. Le rapport de proportion augmente sur les sites d’El País et de Libération avec respectivement 89% et 90% de pages internes. Les instances émettrices affirment donc très nettement leurs prérogatives éditoriales, adoptant une attitude propriétaire qui consiste à se réserver l’espace disponible, sans partage, sans passerelles sur l’extérieur, sans ouverture sur d’autres énonciateurs... Les pages internes concernent, bien entendu, les informations correspondant aux rubriques traditionnelles de la presse quotidienne imprimée mais aussi certains dossiers dont le traitement graphique diffère souvent radicalement des informations d’actualité. Mais le nom de domaine ainsi que les noms donnés aux fichiers ne laissent aucun doute sur l’identité de l’entité éditoriale qui revendique les contenus affichés. Ainsi, USA Today rappelle son nom chaque fois que c’est possible : sur la fenêtre du navigateur, dans le nom des fichiers enregistrés, sur le signet et les pages imprimées ; la teneur des informations contenues n’intervient que dans un second temps. Ainsi, la page d’information et de services concernant les voyages qui pourraient, a priori, ne pas concerner un éditeur de presse d’actualité générale se nomme « USA Today travel guide », et l’adresse est http://www.usatoday.com/life/travel/ltfront.htm . Sur cette page, on découvre rapidement la présence de partenaires qui permettent au journal de proposer notamment la consultation des tarifs de divers trajets aériens. Le journal apparaît cependant comme l’instance fédératrice qui dispose du pouvoir de convoquer divers collaborateurs pour proposer une offre complète d’informations et surtout de services, tout en demeurant maître à bord.

  • Au sujet des pages internes envisagées comme des extensions :
    Quelques mots sur les pages que nous considérons comme des extensions au territoire de base du journal en ligne (constitué par les pages placées dans la première catégorie, soit les pages internes). Le principe concerne essentiellement le site d’El País (pour lequel ces pages représentent 22% du total des pages dites internes) ; les sites de Libération et USA Today n’en font quasiment pas usage. Il s’agit de pages réalisées en partenariat avec des prestataires externes à l’instance d’édition, des pages d’ « infos-services » à la marge de l’information journalistique (par exemple la recherche de films, disques ou livres), des pages dont le sujet et son traitement ne correspondent pas toujours à l’image traditionnelle du quotidien (voir notamment les pages concernant les jeux vidéos, tests, trucs et astuces, etc.). On trouve aussi dans cette catégorie, des pages sur des dossiers ou correspondant à des suppléments thématiques, dont l’actualisation n’est pas nécessairement quotidienne, dont les sujets sont considérés comme des enrichissements mais non comme des rubriques essentielles au journal (voir les pages cyberpaís qui traitent des nouvelles technologies et celles d’El país de las tentaciones qui sont consacrées aux sorties et aux spectacles). Cette différence de traitement qui nous invite à considérer ces pages comme des extensions du territoire de base du site manifeste en quelque sorte une forme de hiérarchie thématique : le coeur du territoire éditorial se construit sur des rubriques considérées comme essentielles (politique, économie, sport, etc...), les autres pages s’apparentent à des excroissances qui se greffent sur l’espace central et vital du site. Cette stratégie permet tout à la fois d’élargir son champ d’investigation et de compétences, d’attirer de nouveaux publics (les jeunes sont tout particulièrement visés) sans risquer de déstabiliser l’image du journal quotidien qui demeure le référent, essentiel au site à tous points de vue (notoriété, fonds informationnel, finance, etc.).

  • À la périphérie, les pages externes réalisées en partenariat :
    Si nous intéressons maintenant aux pages que nous considérons comme le fait d’un énonciateur différent, il faut, par-delà leur petit nombre, s’interroger sur la nature des informations proposées. Parmi les pages que nous avons considérées comme résultant d’un partenariat entre les éditeurs du site et divers prestataires externes, on trouve par exemple celles qui sont apparemment produites par une agence ou une fédération d’agences immobilières et qui permettent au journal de proposer en permanence un service de recherche conséquent (voir les liens n° 83 et 84). Dans le même type de perspective, on trouve sur le site de USA Today un partenariat avec une entreprise spécialisée dans les transactions d’affaires, de petites et moyennes entreprises (voir lien n° 90). Nous avons aussi placé dans cette catégorie la page de recherche (sur le site et sur le Web) proposée par USA Today puisqu’elle est revendiquée par « Lycos » (voir le lien n°2 dans le tableau). Le site propose aussi des outils statistiques permettant de comparer diverses données, outils développés par une entreprise qui fait ainsi sa promotion (voir le lien n° 151). Libération de façon extrêmement explicite annonce ses partenariats dès le niveau de la page d’accueil ce que ne font pas les autres sites. La rubrique « dépêches » est présentée comme le résultat d’un partenariat avec l’AFP (lien n° 11), et celle des enchères est proposée avec la société I-Bazar (lien n° 14). Non visible sur la page d’accueil, la collaboration entre Libération et Canal + pour réaliser la rubrique « saison de Formule 1 » est cependant clairement précisée sur la page correspondant au lien n° 29.
    Notons que les pages en partenariat peuvent cependant être traitées de diverses manières. Ainsi, on peut remarquer que dans certains cas, même si les partenariats sont clairement annoncés, le journal en ligne souhaite « garder la main ». Le partenaire est alors seulement cité ; le nom de domaine et la maquette demeurent ceux du journal en ligne. Ainsi, les pages financières du site de USA Today réalisées en collaboration avec Bloomberg ont été considérées comme des pages internes car elles affichent clairement leur appartenance au noyau dur du journal en ligne par le nom donné au fichier (« USA Today market chart ») par l’adresse qui leur a été attribuée (http://www.usatoday.com/money/charts.htm ) (voir les liens 66 à 71).

  • Les pages externes présentant cependant un lien organisationnel avec le journal :
    Les pages Web utilisées pour faire la promotion du groupe d’édition, de ses filiales et de ses produits sont surtout le fait de l’édition en ligne d’El País. La page d’accueil du site d’El País propose en clôture de page quelques liens qui conduisent au groupe d’édition « Prisa » qui possède le journal (liens n° 143 et 145) ainsi que quelques pages promotionnelles pour les publications de ce groupe (voir les liens 144, 146 et 147). Quant au site d’USA Today, il se contente de promouvoir une publication du même éditeur, intégralement dédiée au baseball et disposant d’un site avec son propre nom de domaine (voir le lien n° 58).

  • Les pages externes :
    Toujours dans la catégorie des pages considérées comme externe avec lesquelles les éditeurs des sites de presse ont établi des passerelles se trouvent bien entendu les pages des annonceurs publicitaires.

Le premier constat sur ce sujet précis concerne le fait que ces pages d’annonceurs ne sont pas toujours signalées. Difficile de distinguer sans cliquer pour en obtenir l’affichage certaines annonces publicitaires de certaines rubriques ou dossiers mis en valeur par un travail graphique. Sur la page d’accueil d’El País digital, l’encart publicitaire « Inicia » (lien 34) n’est pas très différent de l’encart qui annonce le dossier spécial sur les élections (lien 36). Difficile aussi de distinguer un lien hypertexte qui conduit sur le site d’un annonceur des autres liens qui relient et organisent les informations.

Reproduisant les usages en vigueur dans la presse imprimée quand le traitement des informations publiées peut prêter à confusion, la signalisation d’une information ou d’un lien de nature publicitaire peut se trouver sur certains sites (nous faisons référence aux mentions concernant les publi-reportages). Ainsi, sur la page d’accueil du site de Libération, le terme promotion entre parenthèses précède une information concernant la sortie de l’album d’un chanteur. Les quelques lignes au sujet de ce nouvel album ne sont pas traitées de façon particulière ; elles sont au contraire parfaitement intégrées à l’ensemble des informations du site. De fait, une certaine ambiguïté demeure quant au statut de cette information que le marquage discret du terme « promotion » et non « publicité » ne suffit pas à dissiper (voir lien 45 sur la page d’accueil du site de Libération).

Le cas du site de USA Today, un peu particulier, mérite que l’on y consacre quelques lignes. Il faut tout d’abord remarquer que la page d’accueil présente nettement plus de liens conduisant à des pages d’annonceurs publicitaires que les deux autre sites étudiés (26 liens pour USA Today et même 57 si l’on considère ceux qui sont proposés à partir d’un menu déroulant, seulement 8 pour EL País et 3 pour Libération). Cependant, la page d’accueil du site d’USA Today ne présente qu’une seule bannière de format standard en clôture de page et l’équivalent d’une demi-bannière dans la partie supérieure de la page (soit dans l’espace qui s’affiche en priorité à l’écran). Les autres liens actifs qui permettent d’accéder à des pages d’annonceurs publicitaires sont essentiellement traités de deux façons distinctes :

  • soit aucune différence ne permet de distinguer un lien de nature publicitaire d’un lien qui conduit à des articles d’information. Ainsi, dans une colonne intitulée « Today’s best bets » (les meilleurs paris de la journée), à la suite d’une liste de liens qui renvoient sur divers articles, se trouve une section intermédiaire appelée « Today’s best deals » (les meilleures affaires du jour) proposant des liens hypertextes vers quelques-uns des principaux annonceurs publicitaires sans que ces derniers se distinguent graphiquement des premiers liens de la liste (voir les liens n° 145 à 155).

  • Soit les annonceurs sont présentés sous la forme d’une liste de liens hypertextes, associés aux logotypes des diverses marques et entreprises. Situés en bas de page, dans un encadré explicitement intitulé « USA Today’s market place » s’affichent les annonceurs clairement distingués cette fois des liens qui conduisent à des articles d’information. En effet, l’encadré contribue clairement à créer une surface particulière, en l’occurrence un espace de transaction ; la présence des logotypes place l’internaute dans un univers de marques commerciales identifiées, distinct de celui des articles d’informations journalistiques...(voir les liens de 87 à 101).

Il semble donc que les concepteurs du site d’USA Today privilégient, pour leurs annonceurs, la répétition à la visibilité. Si les bannières sont rares, la plupart des annonceurs disposent de deux liens en page d’accueil, certains même de trois (voir par exemple Ashford.com, vente de bijoux et d’accessoires, dont la page est accessible à partir des liens n° 98, 145 et 155). Nous revenons sur la question de la répétition des liens dans la suite de ce travail concernant la programmation des parcours de consultation.

Une fois la sortie du site effective, le journal n’abandonne pas la partie pour autant. Certaines pages d’annonceurs affichent un lien permettant le retour sur le site du journal (voir les pages correspondant aux liens 90, 93, 94, 97 et 147 de la page d’accueil d’USA Today). Sur d’autres pages, les annonceurs accueillent les nouveaux arrivants avec une formule « Welcome USATODAY.com users to BUYand HOLD.com » (liens 72 et 93) ou encore « Welcome USATODAY.com visitor to Annotate.net » (lien n° 152). Ce qui peut paraître anecdotique de prime abord prouve la réalité des traces laissées par chaque internaute au cours de sa consultation. Ce sont d’ailleurs ces marques qui permettent aux journaux de facturer les « clics utiles » et qui justifient la stratégie de la répétition de liens de nature difficilement identifiable plutôt que la visibilité des bannières bien repérées, faciles à éviter et consommatrices de surface, denrée précieuse s’il en est à la surface des écrans.

Dernière remarque enfin, qui concerne les trois sites étudiés : parmi les liens ouvrant sur l’extérieur sans qu’un partenariat soit en jeu, sans qu’il s’agisse de promouvoir une filiale ou un groupe d’édition, un seul n’est pas de nature publicitaire. Il s’agit du lien qui permet d’accéder au site de l’OJD diffusion contrôle521 présent sur la page d’accueil d’El País digital. On imagine aisément l’intérêt que peut constituer, pour une publication référente dans son pays, la présentation des chiffres concernant la diffusion de l’imprimé et les connexions sur le site522. Cela contribue non seulement à légitimer le site, reconnu par une instance indépendante mais c’est aussi le moyen de s’afficher comme une structure sérieuse qui ne craint pas la transparence. En dehors de ce lien dont la présence ne gène en rien le journal en ligne, bien au contraire, aucun autre lien, aucune autre page reliée à la page d’accueil des sites que nous avons étudiés ne permet un quelconque accès aux sources de l’information diffusée ou n’offre les moyens d’un complément d’information. Contrairement à ce qui a souvent été affirmé ou craint par les journalistes, aucun débat contradictoire, aucune information dont la paternité ne serait pas explicitement attribuée à l’instance énonciatrice n’a droit de cité sur le territoire éditorial. Au niveau de la page d’accueil et de celles qui lui sont directement reliées, l’espace éditorial n’est pas plus ouvert sur le Web que sur le papier.

Quelques mots cependant pour nuancer ce constat. En effet, l’étude des pages situées après les deux niveaux précédemment considérés (la page d’accueil et les pages qui lui sont directement reliées) montre que sur les dossiers thématiques notamment, les pages des journaux en ligne n’hésitent pas à inscrire en marge de leurs propres articles des références complémentaires, essentiellement les adresses d’autres sites web concernés par les sujets traités. Le journal en ligne se transforme alors en véritable ressource documentaire offrant de précieuses pistes à une étude approfondie d’un thème précis. Une nouvelle richesse multimédia émerge alors sous forme de galerie photographique, de documents sonores, etc. Le journal établit aussi des connexions avec d’anciens articles tentant d’enrichir l’actualité par le rappel d’événements passés. Ouverture plus spectaculaire encore, dans ses chroniques sur le site de Libération, Eric Dupin procède à une revue de presse sur différents thèmes d’actualité et essaime divers liens hypertextes permettant d’accéder à de nombreux journaux en ligne...523 La concurrence potentielle est cependant limitée puisque les références ne concernent que des journaux étrangers...

Que déduire de tout cela, sinon que les instances éditoriales délimitent relativement clairement leur territoire et règnent sans partage sur les premier niveaux de l’arborescence. Ensuite, quand l’internaute déterminé à atteindre l’article ou le dossier qu’il souhaite consulter poursuit sa recherche, il finira probablement par trouver des ouvertures qui lui permettront de quitter le site de presse pour accéder à d’autres types d’informations délivrées par diverses administrations, ONG, divers organes d’expressions, etc... Après trois sélections successives (trois « clics »), s’il s’agit de consulter des pages relatives à des dossiers thématiques, les liens sur l’extérieur sont effectivement affichés. Ils sont plus ou moins opérationnels selon que l’on accède à une information précise ou sur une page générique au sein de laquelle il faut se repérer et à nouveau chercher le point de connexion avec la question ou le thème initial. Plus que jamais, il appartient à l’internaute et à lui seul, d’établir l’unique lien qui importe, celui du sens.

Notes
521.

Initialement Office Justification des Tirages (OJT), cet organisme est devenu en 1946 OJD préférant la notion de diffusion à celle de tirage En 1992, il devient Diffusion Contrôle étendant son acticvité à d’autres types de parution, presse gratuite, supports multimédia, audiovisuels...). Aujourd’hui on préfère toujours utiliser l’acronyme OJD auquel on ajoute parfois la mention « diffusion contrôle ».

522.

Contrairement au site de l’OJD en France, le site espagnol s’intéressent aux journaux en ligne et fourni des statistiques de connexions. Adresse OJD pour l’Espagne : www.ojd.es et pour la France : www.ojd .co. Les statistiques de connexions du site d’El País sont présentées en annexe 18.

523.

Voir notamment http://liberation.fr/chroniques/dupin.html . dernière consultation en septembre 2001.