C. Conclusion de la Partie 3 : À partir de l’étude des formes, lecture d’un nouveau contrat médiatique ?

En conclusion de cette étude des formes du journal en ligne, il semble qu’émerge un objet tout à la fois hybride et singulier mêlant la nouveauté des spécificités du dispositif à différentes formes médiatiques déjà connues.

En premier lieu, tous les journaux en ligne s’inscrivent dans une filiation qui se repère « naturellement » à partir des noms et des ressemblances visuelles avec le  média qui revendique la paternité du site. Cet héritage offre tout à la fois, notoriété et crédibilité, palliant de fait le risque de dissolution des identités énonciatives liée à la diversité des sources disponibles sur le Web.

Par-delà les héritages, le journal en ligne propose une nouvelle forme de rapport à l’information, entre base de données et encyclopédie : objet réalisé de façon collective, objet doté d’une mémoire offrant à la consultation un nombre de données colossal, objet qui n’a pas vocation à être parcouru dans sa totalité, ni à être feuilleté, objet perpétuellement actualisé sans pour autant perdre la trace du passé... Le journal en ligne est un objet dont les informations sont comme des particules qui n’ont pas ou peu de sens en dehors de mises en relation avec d’autres particules, avec le site en son entier et son mode de structuration, avec enfin, l’internaute, son système de références et ses représentations, au sein d’un parcours de consultation singulier.

Malgré la diversité des formes du journal électronique, reflet des diverses influences qui participent à l’émergence de cette nouvelle figure de l’information journalistique, un élément commun à tous ces sites matérialise non seulement les héritages théoriques mais aussi les stratégies à l’oeuvre dans ces éditions en ligne... Il s’agit de l’hypertexte, forme spécifique de la communication multimédia, forme signifiante de la nouvelle médiation proposée par la presse sur le réseau Internet et du rôle conféré à l’internaute.

• en premier lieu, l’hypertexte contribue à structurer, à organiser les sites de presse. Les journaux en ligne utilisent le plus souvent les liens hypertextes non dans une perspective d’enrichissement (établir des correspondances, des connexions, des résonances avec d’autres sources, d’autres textes...) mais plutôt pour construire une arborescence, à partir de menus de plus en plus détaillés.

• en second lieu, l’hypertextualité joue un rôle stratégique. La gestion de l’hypertextualité est significative de la politique éditoriale du journal et des moyens financiers mis à la disposition des producteurs du site. Les liens manifestent les partenariats, la sous-traitance mais aussi la volonté des éditeurs de garder la maîtrise du territoire éditorial et de tenir le lecteur captif en ne proposant que rarement des passages vers l’extérieur (à l’exception des sites des annonceurs qui tout comme les collaborateurs ont un rapport contractuel et économique avec le journal).

• Parce que l’hypertextualité véhicule un discours sur le monde, du fait de ce qu’elle autorise et par ce qu’on peut dire et lire sur l’accès instantané à un savoir universel, son usage entretient une dimension idéologique qui profite au journal en ligne. Ce discours idéologique est d’ailleurs inscrit de façon historique dans l’hypertextualité puisqu’il hantait les concepteurs des premiers systèmes hypertextes.

• En dernier lieu, l’hypertextualité participe d’une certaine forme de créativité. En choisissant d’activer un lien hypertexte l’internaute s’oriente dans l’espace du journal électronique ; le choix d’un itinéraire construit le sens de sa démarche. Le terme de sens peut d’ailleurs ici être entendu comme signification et comme direction, les deux étant indissociables dans le cas présent. De même, il faut entendre le terme de démarche à la fois comme méthode et création de parcours de consultation, d’accès à l’information. La multiplicité des itinéraires possibles fait ainsi émerger un objet singulier, une forme et une signification éphémères. Le journal en ligne dont l’actualisation est visuellement timide, est finalement, renouvelé par les parcours des internautes qui le consulte, même si la navigation est limitée par les intentions du concepteur, par les contraintes du dispositif et les limites de la technologie.

L’utilisateur de la presse d’actualité en ligne adopte une posture de consultation c’est-à-dire une posture de recherche. Ce qui importe avant tout c’est la satisfaction de l’utilisateur, la qualité de la réponse à une demande exprimée. L’évaluation se fera donc en termes de performance, d’efficacité dans l’organisation et la gestion des contenus. On peut considérer que le contrat qui lie le lecteur et l’instance émettrice est un contrat de réassurance permanente. Ce qui est en mesure de fidéliser le lecteur, c’est le fait de trouver jour après jour ce qu’il cherche sans perdre de temps ; les comparaisons avec l’encyclopédie ou les bases de données prennent donc ici tout leur sens. La stabilité de la page d’accueil, la présence en bonne place des outils de recherche et des menus structurant l’organisation des contenus découle de cette perspective dans laquelle l’information est envisagée de façon utilitaire. Pour le lecteur du journal électronique, l’information est un matériau, un moyen de, un outil pour ; l’information est donc appelée à être manipulée, transformée, éventuellement ré-exploitée, etc.