Du style et des effets sur le lecteur

Qu’il s’agisse d’articles mobilisant le modèle de l’explication de texte ou de la paraphrase, les réceptions des lecteurs professionnels ne diffèrent pas sensiblement durant cette période : chacun s’accorde à considérer le style de l’écrivain comme « simple » ; ses thèmes comme éternels, ses assertions comme des évidences où le Vrai se dévoile :

‘« Dans une langue très simple, très juste, très pure, d’une incroyable et neigeuse légèreté, débarrassée de toute rhétorique, de tout concept, une langue qui parle au coeur et résiste aux modes, Bobin célèbre, comme dans l’Eloignement du monde, le devoir de solitude, l’oubli de soi, la qualité du silence, le souci de ne rien posséder, l’art de l’émerveillement, la faculté de lutter contre ce qui corrompt et asservit. »135 ’

L’économie de mots, la simplicité des phrases sont des qualités relevées par tous les journalistes : « ‘Il écrit sans emphase ni hermétisme’ » relève André Comte-Sponville pour Libération 136 en 1987. Le style est avantageusement comparé à ceux qui construisent des phrases longues et alambiquées. La simplicité ou limpidité du style rejaillit sur le personnage : Bobin paraît quelqu’un de simple et d’humble, à l’opposé du prétentieux qui souhaite faire carrière. Les critiques pressentent un poète envisageant l’écriture comme une nécessité. L’authenticité de l’individu pointe sous ses phrases.

Les journalistes ont également des formules pour décrire l’effet procuré par la lecture des textes de Bobin : l’émotion est au centre de leur réception. Ainsi, Pierre Bettencourt, qui intitule son article paru en 1986 dans Le Monde, « Un traité du ravissement », avertit ses lecteurs : « Le livre de Christian Bobin vous prend au coeur, tout de suite 137». Deux ans plus tard, Gabrielle Rollin pour Le Monde relate que « ‘chaque page, chaque ligne, touche le coeur à vif’ 138». Evoquer l’émotion, parler de coeur pris dans la lecture d’une part, inscrire dans la catégorie « Ecrits intimes » les textes d’un jeune écrivain d’autre part sont autant de manières de baliser la réception de ses textes par le public dans le registre de l’émotion. De ce point de vue, il y a coïncidence entre les propos de journalistes et la réception voulue par Bobin pour ses textes, ainsi que nous le montrerons lors du prochain chapitre.

Notes
135.

Jérôme Garcin, ’Christian Bobin, la gloire d’un pur’, L’Evènement du Jeudi, 10 au 16 mars 1994

136.

André Comte-Sponville, ’Christian Bobin, poète’, Libération, 5 mai 1987

137.

Pierre Bettencourt, ’Un traité du ravissement’, Le Monde, 8 août 1986

138.

Gabrielle Rollin, ’Les offrandes de Christian Bobin’, Le Monde, 19 février 1988