Images du lectorat

Assez rapidement, la presse littéraire ou générale dresse dans ses articles un portrait du lectorat de Bobin. L’idée principale est celle d’une communauté. Les lecteurs de Bobin constituent une sorte de communauté informelle d’initiés se reconnaissant entre eux et aidant à la diffusion de ses textes par le bouche à oreille. En 1991, Patrick Kéchichian précise sa vision du lectorat :

‘« Autour du nom de Christian Bobin, autour de ses livres, qu’il a déjà publiés et de nombreux textes qu’il donne aux revues se constitue peu à peu une petite communauté informelle d’admirateurs amicaux. On devrait les reconnaître à un certain sourire de connivence, à une certaine détente de l’intelligence, à un goût commun pour une certaine manière de lire. » 139 ’

De même, en 1994, Jérôme Garcin dans l’Evénement du Jeudi arrive au même commentaire :

‘« Autour de lui s’est formé un grand cercle d’admirateurs inconditionnels. [...] Il a trouvé un public de fanatiques, quelques quinze mille à vingt mille lecteurs complices unis par le bouche à oreille, qui s’arrachent ses recueils d’aphorismes, de prières, de poèmes en prose, parus pour la plupart chez de petits éditeurs décentralisés. [...] C’est que Bobin écrit pour tous ceux qui ont désespéré de la littérature contemporaine, lui demandant beaucoup plus qu’un plaisir de récréation, et ne supportant pas qu’elle soit vouée à l’hermétisme élitaire ou au commerce industriel. Il réconcilie les lettrés et les néophytes, les professeurs et leurs élèves, les croyants et les athées, les humbles et les nantis. »140 ’

Pour Comte-Sponville, le lien qu’éprouvent les lecteurs de Bobin s’appelle tout simplement l’amour : « ‘L’amour. L’amour fervent d’un public. La reconnaissance. Et les titres qui circulent et qu’on se répète comme des mots de passe’. »141 

Ces trois citations se rejoignent pour produire l’image d’un lectorat aux caractéristiques singulières : un lien formé par de nobles sentiments (l’amitié, la connivence, l’intelligence, le bon goût littéraire, la complicité et l’amour) construit d’une manière informelle une communauté de lecteurs amoureux. La poésie de Bobin est si forte, selon ces commentateurs, qu’elle réussit non seulement à rassembler autour d’elle, par le simple bouche à oreille des individus d’origines sociales, de parcours et de professions différentes, mais à apaiser les tensions existant entre eux. Ainsi décrit, le lectorat de Bobin n’est pas loin de ressembler à une communauté au sens strict, d’inspiration religieuse. Le pas sera d’ailleurs franchi par les journalistes dans la deuxième période. De poète, Bobin devient gourou. L’éloge se fera reproche.

Notes
139.

Patrick Kéchichian, ’La gloire du simple’, Le Monde, 26 juillet 1991

140.

Jérôme Garcin, ’Christian Bobin, la gloire d’un pur’, L’Evènement du Jeudi, 10 au 16 mars 1994

141.

André Comte-Sponville, ’La force pure de Christian Bobin’, La Quinzaine littéraire, n° 579, 1 juin 1991