Le second facteur explicatif d’un déclassement concerne le volume de publication annuel de textes de Bobin. Selon la formule adoptée par l’auteur en début de carrière, les parutions de textes vont toujours au moins deux par deux (un ouvrage chez Gallimard, un ouvrage dans une petite maison d’édition). En 1990, quatre ouvrages paraissent : deux au printemps, deux à la rentrée littéraire. En 1993, trois textes sont publiés. Et de nouveau quatre livres sortent pour l’année 1994. Ainsi, entre 1990 et 1998 plus d’une vingtaine de livres sur les trente que compte la collection complète sont accessibles au lecteur. Les deux tiers de sa bibliographie comprennent donc des textes de publication récente (après 1990). On peut imaginer que cette sorte de frénésie de publication a eu pour effet une perte du sentiment de rareté du produit commercial. La surabondance de textes disponibles sur le marché a selon nous joué en la défaveur d’une part de l’image de Bobin (qui ne peut plus correspondre à celle d’un poète n’écrivant que sous le coup de l’inspiration), et d’autre part envers le contenu de ses textes. Son propos s’est diffusé voire banalisé auprès des lectores : ceux-ci se plaignent de retrouver constamment les mêmes idées et les mêmes thèmes d’un livre à l’autre. Certains parlent du registre « limité mais agréable »155 de sa production littéraire. Tandis que pour Pierre Michon, (un des pairs de Bobin) la presse souligne et salue la lenteur d’écriture et de parution de ses textes, la fréquence de publication contribue à dévaloriser Bobin et son oeuvre. Le message perd de sa rareté et se vulgarise. Pire, Bobin est soupçonné d’être un auteur complaisant. De là à imaginer une stratégie de séduction envers son lectorat, il n’y a qu’un pas, que franchit Jean-Louis Ezine en 1996 lors de sa présentation de La Plus que vive. Il voit l’écrivain comme un gourou n’ayant « pas besoin de lecteurs, seulement de disciples 156 ».
Pierre Lepape, « Le retour des sulpiciens », Le Monde, 3 novembre 1995
Jean-Louis Ezine, « Enfin Bobin vint. Les raisons du succès », Le Nouvel Observateur, 19-25 septembre 1996