Le minimalisme comme courant littéraire ?

Le tournant amorcé par la critique littéraire à propos des textes de Bobin en 1993 – 1994 se poursuit jusque dans les années 1998 – 1999. A partir de ces dates, les publications de l’écrivain se font plus rares et par conséquence les raisons d’évoquer ses textes également. Dans le même temps, d’autres écrivains rappellent aux critiques la production de Bobin. Il devient une sorte de référence permettant de comparer les productions de nouveaux entrants dans le champ littéraire. Et certains critiques en viennent à parler de l’émergence d’un courant littéraire. Dans un article signé de Catherine Portevin, et intitulé « l’ère des riens », l’auteur présente quatre écrivains qui, selon elle, possèdent de nombreux points communs. Il s’agit de Philippe Delerm, Christian Bobin, Pierre Autin-Grenier et Eric Older, qui célèbrent chacun l’ordinaire et le quotidien. « ‘Un peu ermites, ils s’enthousiasment pour la pluie, l’oisiveté ou les fleurs. Un courant littéraire minimaliste ? Le public est séduit.’ 171». Elle rappelle également que son titre lui vient d’un article paru dans la « très sérieuse revue de la NRF », qui s’interroge sur la venue des « moins que rien » : ces écrivains « ‘auraient comme point commun d’écrire des textes courts [...] et comme manifeste ? Rien, justement. Ces écrivains aspirés par le pas grand chose ne révolutionnent pas la littérature. Ils renouent, simplement, avec une tradition très française qui du boeuf miroton de madame Maigret, décrit par Simenon, jusqu’aux Vies minuscules de Pierre Michon, trace un chemin tortueux entre les chroniqueurs de l’ordinaire. [...] Nos flâneurs d’aujourd’hui ont 40 ou 50 ans, des caractères plutôt dénués de méchanceté et plutôt solitaires ; ils voyagent peu ou pas ; aucun n’habite Paris [...] ’ 172».

Livre-Hebdo produit en 1998, à l’occasion de la sortie de Geai, un article qui va dans le même sens que celui de Catherine Portevin : « ‘les plaisirs simples de la vie sont devenus un genre littéraire à part entière : dans L’Heure exquise, publié à l’Arpenteur, l’éditeur de La Première gorgée de bière, Dominique Barberis, évoque avec une émotion furtive un soir d’été dans un village. Chez Gallimard, on retrouve dans Geai, de Christian Bobin, la petite musique de La Folle Allure’.173 »

Il apparaît ainsi que Bobin n’est plus, à la fin des années quatre-vingt-dix, un écrivain qu’il faut présenter, faire découvrir ou encore dénigrer. Il devient plutôt une figure connue du champ littéraire français qui permet de classer les productions littéraires d’autres écrivains. Et il est pertinent de repérer le vocabulaire employé par Catherine Portevin pour qualifier l’attitude prônée par tous ces écrivains dans leur livre : « ‘comme un renoncement, un fantasme de retrait du monde, quand il faut désespérer de tout ’ 174». Cela n’est en effet pas sans rappeler l’attitude du mystique contemplatif, dont on a postulé que l’idéal-type constituait le paradigme (au sens où Jauss emploie ce concept) permettant de rendre compte de la production littéraire de Bobin. Que la journaliste reprenne les mêmes termes pour questionner autant que qualifier l’émergence d’un courant littéraire signifie peut-être que ce paradigme n’est pas seulement propre aux textes de Bobin, mais se retrouverait dans les écrits de ses pairs. Il y a là une intéressante perspective de chantier à mener.

Notes
171.

Catherine Portevin, « L’ère des riens », Télérama n°2507, 28 janvier 1998

172.

Catherine Portevin, « L’ère des riens », Télérama n°2507, 28 janvier 1998

173.

« Etat des lieux thématiques », Livre-Hebdo, 26 juin 1998

174.

Catherine Portevin, « L’ère des riens », Télérama n°2507, 28 janvier 1998