Nous souhaitons à présent mettre en évidence l’interdépendance existant entre le mode d’expression littéraire de l’écrivain, dont la présentation constitue également un des objectifs, et ce qui est de l’ordre de sa posture d’écrivain et de lecteur. L’hypothèse que nous formulons consiste à dire qu’à des techniques mobilisées (la machine à écrire, le crayon, le traitement de texte, l’usage de carnets, de feuilles volantes...), à des habitudes et manies de l’auteur (écrire à heures fixes, ou attendre que l’inspiration vienne...), et à des manières de lire, correspondent des textes particuliers, dans leur forme, dans leur rhétorique et dans leur thématique. La démonstration s’appuie sur une série d’arguments déployés dans les trois directions que forment la posture d’une part d’écrivain, d’autre part de lecteur de Bobin (telles qu’elles se trouvent mises en scène dans ses textes), et enfin l’ancrage de son discours littéraire dans un registre rhétorique particulier, le movere. La liaison n’est évidemment pas mécanique et doit être tempérée d’études se référant à d’autres domaines plus habituels d’analyses textuelles (champ lexical, sémantique, rhétorique...).
Croiser dans un même geste ce qui est de l’ordre de la manière concrète d’écrire, de considérer la lecture, et ce qui relève plus du domaine du texte peut à première vue surprendre. Cela se justifie lorsqu’on garde à l’esprit que dans les cinq moments nécessaires à la constitution d’un discours, répertoriés par la rhétorique, un se réfère concrètement à l’élaboration des idées (inventio 177) avant de s’engager dans la mise en forme et mise en place de ces idées à l’intérieur du discours. Nous posons qu’il y a une interdépendance entre les manières dont l’auteur produit ses textes, envisage pour lui-même l’activité de lecture, et le mode d’expression littéraire qui en résulte : à des méthodes particulières, correspondent certains procédés rhétoriques. C’est pourquoi nous nous proposons de nous attarder sur chacun de ces points.
Communément traduit par invention, il s’agit selon Joëlle Gardes-Tamines de « l’art, c’est-à-dire la technique de trouver des idées et des arguments et de les enchaîner dans le cadre d’un raisonnement suivi », Joëlle Gardes - Tamines, La Rhétorique, collection Cursus, Armand Colin, 1996, p. 59