Le deuxième temps de la démonstration de l’hypothèse d’une écriture de la révélation comme mode d’expression littéraire de Bobin consiste à repérer dans ses discours les passages qui traitent de son rapport à la lecture, de ses manières de lire, et des types de textes plus particulièrement appréciés. Ces thèmes sont très nombreux tout au long de l’oeuvre, et un ouvrage Un livre inutile 205 a même été entièrement consacré à l’effet produit sur l’écrivain devenu lecteur de Kafka, Claudel, Ponge, Apollinaire ou encore Beckett.
Les indices d’intertextualité, éparpillés dans les textes d’écrivains sont un des outils qui permettent d’inscrire l’auteur étudié dans un référent qu’il construit lui-même et dont les effets en terme de position dans le champ sont aussi évidents que pertinents à saisir. Néanmoins, ce n’est pas dans cette optique que l’étude sera ici déployée : l’intérêt réside davantage dans les liens qu’il est possible de nouer entre deux activités qui se présentent dans la pratique comme nécessairement solidaires, l’écriture et la lecture. En effet, on imagine que ce n’est pas seulement pour l’universitaire que ces deux activités se trouvent conjointement effectuées, mais plus généralement, pour tous ceux qui ont un rapport professionnel à l’écriture. Seulement la manière de lire, la « rhétorique du lecteur » pour reprendre une expression proposée par Alain Viala206 va varier d’un type de rapport professionnel à la lecture à l’autre. On postule qu’elle est corrélée d’une part à la pratique d’écriture de l’écrivain, et d’autre part, au mode d’expression littéraire. Sans doute que faire systématiquement des résumés des livres, baigner dans un référent littéraire composé principalement d’essais philosophiques ou de sciences humaines, avoir une lecture intensive de ce genre de texte induisent des pratiques d’écriture et des modes d’expression littéraires tout à fait différents de ceux qu’on pourrait trouver lorsqu’un auteur ne présente que des références à des textes poétiques, avoue rechercher dans ses lectures une certaine émotion plutôt qu’une preuve ou démonstration, et considère comme un non-sens la fabrication de fiches de lecture. C’est pourquoi, nous nous proposons, dans cette partie d’analyser les discours de Bobin sur ses propres pratiques de lecture.
Christian Bobin, Un livre inutile, Fata Morgana, 1992
Alain Viala, « L’enjeu en jeu : rhétorique du lecteur et lecture littéraire », Michel Picard (ed), La Lecture littéraire, Paris, Colloque de Reims, Clancier – Guenaud, , 1987