Dans la typologie wébérienne, le mystique contemplatif cherche, par le biais de quelques « vérités » servant à donner une unité à sa vision du monde, à atteindre un état de grâce (la contemplation) qui correspond au « ‘sentiment d’une unité entre le savoir et la disposition [...] pratique, sentiment d’unité qui donne au mystique l’assurance décisive d’être en possession de la grâce religieuse.’ » 222 Les « vérités » émises par le mystique contemplatif lui sont donc nécessaires pour articuler sa vision du monde à un savoir pratique et constituer la voie menant à l’état contemplatif :
‘« Ainsi pratiquée, la contemplation n’est nullement un abandon passif à des rêves, ni une simple autohypnose, même si dans la pratique elle peut se rapprocher de cette dernière. Au contraire, la voie spécifique qui mène vers elle consiste en une concentration très énergique sur certaines ’vérités’ ; ce qui est décisif pour la nature de ce processus, ce n’est pas le contenu de ces vérités -qui apparaissent souvent d’une grande simplicité pour le non-mystique-, mais la manière dont elles sont accentuées ainsi que la position centrale qu’elles occupent alors à l’intérieur de l’aspect général du monde, auquel elles donnent son unité. »223 ’Poursuivre la construction d’un sens unitaire et significatif du monde auquel un savoir pratique est attaché, invite à s’attarder sur le rôle joué par les « vérités » se dégageant de la production littéraire de Bobin. Il faut en effet se demander à quoi elles se rapportent dans ses textes, ce qui revient à questionner les moyens par lesquels l’auteur envisage l’accession à l’état de grâce. De plus, il s’agit d’observer comment se définit cet état.
Nous nous proposons dans ce chapitre de dégager ces « vérités » en utilisant comme matériau l’ensemble de la thématique présente dans la production littéraire de Bobin. Elles sont vues à la fois comme le moyen d’unifier la vision du monde de l’écrivain, autant que de l’articuler à un savoir pratique conduisant à l’état de grâce. On postule qu’elles se rapportent essentiellement chez Bobin à la nature et au rôle de la souffrance dans l’accession à l’état de grâce. L’étude du thème de la souffrance et de la mécanique de la rédemption formera donc le sujet des deux premières parties de ce chapitre.
La thématique sera d’autre part, étudiée dans la troisième partie du chapitre en ce qu’elle autorise la reconstruction le système de « valeurs et non-valeurs ». Celles-ci représentent, après les « vérités » la seconde facette du message du mystique contemplatif. L’ensemble des thèmes présents dans les textes de Bobin se décline sous cette catégorie des « valeurs et non-valeurs » ayant trait à la vie en couple contre la solitude, la différence entre les hommes et les femmes, l’adulte et l’enfant, la vie en société et la vie solitaire, l’action contre la contemplation, le savoir contre l’émotion. Il s’agit donc de rendre compte de constantes oppositions thématiques, de « vérités », ainsi que « valeurs et non-valeurs », considérées comme autant de schèmes interprétatifs auxquels les lecteurs peuvent se trouver confrontés lors de leur découverte des textes. L’analyse des « vérités », la mise au jour de la voie d’accès à l’état de grâce ainsi la présentation des « valeurs et non-valeurs » poursuit ainsi la présentation organisée de la thématique relevable dans l’ensemble de la production littéraire de Bobin. Elle se justifie de plus, au regard d’une sociologie de la réception : pouvant servir d’accroche pour les lecteurs, elle constitue un point d’entrée central dans les textes. Lors du procès de réception, un premier écart devrait distinguer ceux que les thèmes fédèrent, et ceux qui s’en éloignent, avant même d’entrer dans des considérations plus fines à propos des textes. La vie quotidienne, les questions existentielles, le bonheur et la souffrance d’être mère, l’ennui de devoir gagner sa vie, le plaisir d’une promenade en forêt représentent en effet des thématiques pour lesquels les connaissances, intérêts et attentes des lecteurs divergent. En rendre compte d’une manière précise prépare donc l’analyse des expériences de réception, notamment dans l’optique d’une confrontation entre le monde du texte et le monde du lecteur.
Max Weber, Sociologie des religions, Gallimard, p. 199
Max Weber, Sociologie des religions, op. cit., pp. 198-199