Section II – Mécanique de la rédemption

Une fois la logique de la résignation, qui puise ses principales lignes directrices dans une sublimation et valorisation de la souffrance mise au jour, il reste à observer la manière dont elle fonctionne dans la prose de l’écrivain. Prend-elle une place conséquente dans ses textes ou bien reste-t-elle marginale, ne se rapportant qu’à la situation de jalousie présentée par l’auteur ? Il s’agit à présent de se questionner sur sa présence et son mode de fonctionnement, en restant particulièrement attentif aux situations que le lecteur peut rencontrer dans l’ensemble des textes de Bobin, exception faite des romans, pour lesquels une étude spécifique formera le sujet du prochain chapitre.

Le choix d’extraire de cette recension des situations les formes explicitement romanesques conduit à s’attarder sur un ensemble de textes où prédominent un discours de l’auteur visant à se mettre en scène. En effet, il est souvent question dans ses textes de l’occupation de ses journées. On a pu voir qu’elles consistaient essentiellement en l’attente d’ « apparitions » ou « révélations » accessibles dans un état contemplatif. Ces « apparitions » sont relatées en référence au cadre situationnel dans lequel l’écrivain se trouve au moment de leur venue. Ce cadre constitue donc souvent le point d’entrée dans les textes : c’est parce que l’auteur attend son train dans une gare qu’il entre dans un état contemplatif et qu’une « apparition » le visite ; c’est lors d’une marche en forêt que l’abondance de bruits, d’odeurs, de couleurs le plonge dans un état méditatif lui permettant d’aller vers des « révélations » ; de même, la contemplation d’un enfant en train de jouer lui fait renouer avec cet état, propice à la venue de pensées poétiques ou mystiques ; enfin, par des discussions avec des proches, certaines vérités sont entrevues qui vont alimenter sa prose. Les situations quotidiennes fournissent donc, en général, l’introduction idéale à la présentation d’un sentiment, d’une émotion, eux-mêmes supports des « vérités » (c’est-à-dire de schèmes de perception et d’interprétation, de normes comportementales) qui apparaissent brutalement à l’écrivain.

Sans se donner pour objectif de dresser un catalogue des types de situations (ou d’états) particulièrement traités tout au long de l’oeuvre, il s’agit par cette orientation de lecture de préparer l’étude de la réception des textes de l’écrivain. Sans doute que les impressions de révélation, de résonance, de justesse, éprouvé par certains lecteurs, et au contraire, les sentiments d’agacement, de fausseté, de style maniéré et emprunté relatés par d’autres lecteurs, c’est-à-dire les réceptions variées de lecture des textes de Bobin sont à envisager sous deux rapports à l’oeuvre, éventuellement complémentaires : on peut les comprendre d’une part, en raison de la proximité (ou distance) avec les situations ou états vécus par un certain nombre de ses lecteurs qui deviennent redondants (ou en opposition) avec ceux décrits dans les textes, et d’autre part, en ce que le modèle mis en place par l’auteur va être réapproprié et utilisé pour d’autres circonstances, non contenues initialement dans les textes. L’analyse des discours de réception (seconde partie) montrera que ces types de rapports aux textes sont repérables dans les propos d’enquêtés.