Dans Etats de femme. L’identité féminine à travers la fiction occidentale, Nathalie Heinich propose une étude des différents « états » féminins tels qu’ils se dessinent à travers un corpus constitué d’ouvrages de fiction essentiellement romanesque :
‘« Proposant la description d’un système de représentations, cet ouvrage met en oeuvre la méthode élaborée par les anthropologues, mais en l’appliquant aux romans de la culture occidentale – et non pas aux mythes des sociétés primitives – et aux représentations de l’identité féminine – et non pas de l’opposition entre nature et culture. Il met en évidence, pour reprendre l’expression de Michel Foucault, le « champ des possibilités stratégiques » offert aux femmes à travers les figures qu’on construit la fiction : une configuration relativement stable, faite d’un petit nombre d’ « états » dûment structurés, définis par quelques paramètres, et dont les changements obéissent à des règles précises. Chaque état est donc exclusif de tout autre, faute de quoi on n’aurait pas affaire à un système structural – fermé et saturé – mais à un simple répertoire de figures, indéterminé et extensible à l’infini. » 285 ’La notion d’état employée ici est soumise au même usage qu’en fait l’auteur dans son analyse socio-anthropologique de la fiction occidentale. Ainsi, l’objectif de cette partie est de mettre au jour les différents états féminins et masculins tels qu’ils s’esquissent dans les trois romans de Bobin.
Une étude approfondie des descriptions de tous les personnages présents dans les romans permet ainsi de constater que l’espace des possibles en matière d’états féminins et masculins est plutôt limité et se résume respectivement à quatre pour les femmes (l’enfant, la jeune femme, la mère, la vieille femme) et deux pour les hommes (le mari et l’Amant).
Les états féminins s’envisagent dans les romans dans un ordre de continuité. Ainsi, les personnages de sexe féminin des romans de Bobin sont-ils tour à tour dans l’un puis l’autre de ces états qui embrassent les différents âges d’une vie. En revanche, les états masculins circonscrivent les personnages dans une tranche d’âge allant de trente à cinquante ans et s’envisagent dans une relation d’exclusion qui rend inexistant le basculement d’un individu d’un état à l’autre.
Nathalie Heinich, Etats de femmes. L’identité féminine dans la fiction occidentale, Paris, Essais Gallimard, p.13