I - Théoriser l’expérience de réception

La réception est un domaine d’investigation où se croisent de théoriciens et chercheurs venus d’horizons divers (littérature pour W. Iser et H. Jauss, A. Viala ; histoire pour R. Chartier, bibliographie pour D. MacKenzie...), et parmi lesquels on ne trouve finalement que peu de sociologues. Plutôt qu’une discipline constituée, il s’agit d’un champ de questionnements sous-tendu par l’hypothèse que le sens des textes est non pas figé mais fonction des appropriations qu’en font les lecteurs. Toute cette étude s’inscrit de plain-pied dans cette problématique. La question qui se pose à présent est celle de la nature du travail d’appropriation fait par le lecteur avec les textes de Bobin. Comment rendre compte d’un point de vue sociologique de ce qui se joue dans la confrontation entre le monde du texte et le monde du lecteur comme de ce qui en résulte ?

Nous proposons le terme d’expérience pour qualifier tout à la fois le procès de réception et son résultat pour chaque lecteur. Le terme d’acte de lecture, défini par Iser reprend également le thème de la lecture comme moment d’interaction entre un texte et un lecteur :

‘« Dès lors qu’un texte littéraire ne peut agir tant qu’il n’a été lu, il est impossible d’en décrire l’effet sans analyser le processus de sa lecture. Si nous avons consacré ce travail à la lecture, c’est que cet acte fait découvrir les processus mis en oeuvre par le texte littéraire. Au cours de la lecture se produit un travail de transformation du texte qui se réalise par la mise en oeuvre de certaines facultés humaines. Il s’ensuit un effet du texte qui ne peut être étudié ni dans le texte seul ni dans le seul comportement du lecteur. Le texte est donc un potentiel d’action que le procès de la lecture actualise. »³³⁹ ’

Nous lui avons préféré la notion d’expérience qui permet d’entrer plus avant dans les « facultés humaines » énoncées par Iser, et d’envisager la lecture ainsi qu’une série d’actes ou d’opérations menées par le lecteur avant, pendant, et après sa confrontation avec le texte. L’expérience de réception est alors vue est vue comme la configuration d’une série de modalités intervenant à des moments différents, et prenant des formes variables d’un lecteur à un autre. En disposant d’éléments identifiables et isolables (d’une manière théorique) les uns des autres, une reconstruction des expériences est alors possible, qui en montre l’étendue, la diversité et la richesse, mais également les similitudes et redondances d’un lecteur à un autre. Autrement dit, nous souhaitons obtenir par cette opération de déconstruction théorique un ensemble de traits pertinents dont nous observerons les combinaisons ou configurations³⁴⁰ dans notre lectorat. Ces traits pertinents sont au nombre de cinq. Il s’agit :

1. des pratiques de lecture passées et actuelles des enquêtés

2. des modes d’appropriation des textes mis en place pour l’oeuvre de Bobin

3. des usages et fonctions des textes de Bobin pour l’enquêté

4. des effets des textes de Bobin sur le lecteur

5. de la légitimité de la lecture et des textes de Bobin selon les milieux sociaux